LES PLAISIRS DADA
Dada comme tout le monde a des plaisirs. Le principal plaisir de Dada est de se voir chez les autres. Car Dada excite le rire, la curiosité, ou la colère. Comme ce sont là trois choses très sympathiques, Dada est très content.
Dada est d’autant plus content qu’on rit de lui sans préparation. L’Art et les Artistes étant des inventions très sérieuses surtout lorsque cela ressort du Comique, on vient au Comique pour rire. Ici rien de cela. Nous ne prenons rien au sérieux. On rit donc, mais pour se moquer de nous. Dada est très content.
La curiosité est éveillée aussi. Les hommes sérieux, qui au fond savent comment on prépare les miracles dans le genre de ceux du Père la Colique ou des larmes de la Vierge, se disent qu’il serait plus amusant de s’amuser avec nous. Ils ne veulent pas non plus faire crouler tout le Sacré Cœur de l’Art. Les voici qui se frottent à nous pour avoir notre recette. Dada n’a pas de recette, mais il a toujours faim. Dada est très content.
Pour la colère, cela est délicieux. C’est comme ça que commencent les grandes amours. Le seul souci pour l’avenir serait d’être trop aimé. Il est vrai que resterait la faculté de renverser les rôles et à notre tour de rire, désirer, ou nous mettre en colère. Mais en attendant quelle somme de profit ! La belle gueule de quelqu’un qui vomit les injures est grande ouverte, et Dada sait très bien jouer au passe-boule. Dada est très content.
Dada aime aussi jeter des pierres dans l’eau, non pour voir ce qui va arriver mais pour considérer stupidement les petites vagues. Les pêcheurs à la ligne n’aiment pas Dada.
Dada aime sonner aux portes, frotter les allumettes pour enflammer les cheveux et les barbes. Il met de la moutarde dans les ciboires, de l’urine dans les bénitiers, et de la margarine dans les tubes de couleur des peintres.
Il vous connaît et connaît ceux qui vous mènent. Il vous aime, et ne les aime pas. Avec vous on peut s’amuser. Vous aimez probablement vivre, mais vous avez de mauvaises habitudes. Vous aimez trop ce qu’on vous a appris à aimer. Les cimetières, la mélancolie, le tragique amoureux, les gondoles vénitiennes. Vous hurlez à la lune. Vous croyez à l’Art, et respectez les Artistes.
Il suffit de démolir tous vos petits châteaux de cartes et vous restituer votre entière liberté pour que vous soyez les amis de Dada. Méfiez-vous de ceux qui vous mènent. Ils se servent justement de votre amour inconsidéré du toc et du ténor pour vous conduire par le bout du nez, pour leur plus grand bien.
Tenez vous donc à vos chaînes de telle manière qu’on peut impunément user de vous comme d’ours à montrer dans les foires ? Ils vous flattent et vous appellent Ours sauvages, Ours des Carpathes. Ils parlent de la liberté et des grandes montagnes. C’est pour récolter les gros sous des bourgeois spectateurs. Pour une vieille carotte et l’odeur du miel vous dansez. Si vous n’étiez pas lâches et affaissés parce qu’on vous a trop fait considérer les hauteurs et les abstractions inexistantes, et toutes les balivernes montées en dogmes, vous vous dresseriez, et vous joueriez comme nous au jeu de massacre. Mais vous avez peur de ne plus croire, et de nager comme des bouchons à la surface d’une eau sale, avec le seul souvenir de la limonade gazeuse. Vous ne savez pas qu’on peut n’être attaché à rien et être joyeux.
Si le jour vient où vous vous secouerez, Dada fera sonner ses mâchoires en signe d’amitié. Mais si vous vous délivrez des punaises pour garder des poux, Dada fera jouer son petit soufflet à insecticide.
Dada est très content.