ces manifestes sont extraits de « Georges Ribemont-Dessaignes – DADA – Manifestes Poèmes Articles Projets (1915-1930) » réunis dans leur ensemble aux Editions Champ Libre (1974). Les fautes et coquilles ont été conservées à l’identique.
AU PUBLIC
Avant de descendre parmi vous afin d’arracher vos dents gâtées, vos oreilles gourmeuses, votre langue pleine de chancres.
Avant de briser vos os pourris —
D’ouvrir votre ventre cholérique, et d’en retirer, à l’usage des engrais pour l’agriculture, votre foie trop gras, votre rate ignoble et vos rognons à diabète —
Avant d’arracher votre vilain sexe incontinent et glaireux —
Avant d’éteindre ainsi votre appétit de beauté, d’extases, de sucre, de philosophie, de poivre et de concombres métapysiques, mathématiques et poétiques —
Avant de vous désinfecter au vitriol et de vous rendre ainsi propres et de vous répoliner avec passion —
Avant tout cela —
Nous allons prendre un grand bain antiseptique —
Et nous vous avertissons —
C’est nous les assassins —
De tous vos petits nouveaux-nés —
Et pour finir il y a une chanson —
Ki Ki Ki Ki Ki Ki Ki
Voici Dieu à cheval sur un rossignol —
Il est beau, il est laid —
Madame, ta gueule elle sent la laitance de souteneur.
Le matin —
Car le soir on dirait le cul d’un ange amoureux d’un lis —
C’est joli, n’est-ce pas ?
Adieu, mon ami.
Ce poème-manifeste fut dit au cours de la matinée du jeudi 5 février 1920 à la salle du Grand-Palais (« Manifeste lu par neuf personnes »). Marcel Sérano dans Le Petit Bleu du 6 février en donne un compte rendu assez pittoresque pour que nous en reproduisions quelques lignes (on y retrouve des éléments de ce poème) :
« Ils sont six penseurs (?) qui, ensemble, prononcent les mêmes blagues, les mêmes âneries. C’est un vacarme indescriptible, auquel s’ajoutent encore les protestations des assistants :
« – L’auteur ! L’auteur! Qu’il vienne tout nu !
« Les récitants continuent :
« – Nous descendrons dans le public! Nous lui arracherons ses dents gâtées !
« – Sortez-les, crie l’assistance.
« – Nous lui couperons ses oreilles garnies de mousse…
« – Qu’on les pende !
« – Nous lui extirperons la langue…
« Et après ces douces promesses, les récitants poussent leur cri de guerre :
« – Da! Da! Da! Da! Da! »
C’est d’ailleurs à propos de cette matinée que Georges Ribemont-Dessaignes écrira dans Déjà Jadis (Coll. 10/18, p. 95) : « ( … ) toutes les manifestations collectives ont quelque chose d’enfantin et de violent, irrationnel. » Commentaire qui évoque Alfred Jarry.
Signalons également que ce poème est reproduit sous une forme légèrement différente dans « Histoire de Dada » (N.R.F., n° 213, juin 1931). Le texte ici est incomplet – le dernier vers cité étant : « C’est nous les assassins. »
On sait que Georges Ribemont-Dessaignes exprimera par la suite (Lettres Nouvelles, 1955, n° 32) son désaccord à propos de cette publication.