Dada aux Carpathes
-3ème blasphème- (en cours)

I – Céphalée Musculaire

Au commencement (on croyait généralement qu’il y en eut un) le sang jaillissait des récits à chacune de leurs strophes ou de leurs paragraphes. Bizarre qu’à tant de deuil, après les massacres, « certains » adjoignirent une forme poétique (souvent dans l’empois). La veille, je m’étais endormi pour faire table rase du réel en folie, de l’histoire passée au tamis des puissants. Tant de siècles naquirent, illégitimes…

Tant de mystères. Où telle tête (oubliette à mandibules) ‒ contre laquelle sonnait l’airain temporel ‒ confesse-t-elle sa conscience fantôme ? Le « cœur lubrique » ? C’était la mode… L’inconscient, lui, comme meuble à double fond, sensible aux aurores, plat, peu comestible, rien à voir avec la chicorée ! Cuite à point, la chair de poule continue de frémir chez le barbier. Les vol-au-vent planent jusqu’aux bouches galantes qui ne seraient, parait-il, que de sépulcraux culs-de-sac. Jonchées d’ossements humains.

En dépit d’avoir vécu si longtemps, notre anonyme avait peu changé. Il n’était qu’une pâle rumeur, venue de l’est, pour noyer le poisson. Sa vie se hasardait aux périls engagés lors de voyages parfois ordinaires. C’est chose rare un tel caractère. Une aubaine en ce temps-là, lorsque des files d’imposteurs posaient pour un journal ou la TV ; à longueur de journée ils y étalaient leur présence. Si vous passiez trop près de leurs affiches, des yeux vipérins aux éclats d’or ondulaient vers votre sac ou votre rib.

C’était le plein hiver du pire vulgaire effet.

D’ailleurs le peuple, pour eux, n’était qu’un paquet de proies. Exclusivement réservé, maintenu en tension, dans l’inquiétude permanente, la peur, voire la terreur. Notre anonyme, suspendu à ses « aventures » ‒ ses « vésicatoires » disait-il, car elles enflaient son « enveloppe imaginale » ‒ visait sans habitudes une existence passée de mode, ne s’échinant point à inventer la roue. À suivre la destinée du hasard, il ne cherchait rien. Comme Picasso il trouvait. Ce n’était pas le Pérou mais mieux que la Californie, foutre !

L’Europe, de San-Francisco à Melbourne, aimait bien la guerre. En ce temps-là, « certains » allaient à la guerre comme les chercheurs d’or aux mines néanmoins, se tenant très éloignés de la bataille.
Ces « Don Juan » du Dow Jones, ces « banquerouteurs » professionnels vous mettaient à l’index avec trop de ferveur. Sadiques jusqu’aux ongles, leur sacerdoce empli d’ambition et de cruauté se revêtait de philanthropie. « Qu’on leur brise bras et jambes !, pensait notre anonyme, qu’on les pende aux échelles ! »
Répétitions sonores, en ces jours, répétitions, répétitions bien inutiles. La mélancolie courait selon la légende en longs fleuves de sueur et de sang. Il ne manqua même pas d’un peintre pour brosser le tableau qu’il intitula : « Dolent Radeau ». Cela vous enseigne, au pire, sur le ravage à voir, sujet de ce récit avec, en ligne de mire, la nature anonyme de notre héros.

Premièrement, je vois vos yeux briller, ou bien vous-mêmes pliés en deux. Non, notre anonyme n’était pas un monstre duquel le ventre mastiquant en sourdine péterait de soleil aux cabinets. Il eut fallu aller jusqu’à ses intestins pour en comprendre les replis tortueux, la connexité viscérale avec le cerveau, soit par interaction soit, tout simplement, par gémellité dès la conception. Une rumeur flottait dans les mondes subaquatiques ? Notre héros ne pouvait qu’en être l’épicentre (centre vers Pi), impie, phénomène épineux. Au vu et au su de tout les badauds se permettant d’imaginer, les bougres, d’amonceler des fortunes, il proutait en marchant vite le long des trottoirs. Enfumant aussi bien le poète que l’industrieux, naïfs tout autant que curieux, il embaumait les préoccupations de tout un chacun sous un fumet de potage avarié.

Bienheureuse sa pensée qui foisonnait ici, là-bas et ailleurs. Si bienheureuse et brillante qu’un chaton désirant du lait… en lapant, sa langue éclaboussa la nuit. N’y vit-il pas les tourbillons éloquents, les lambeaux dont la crème fut l’écume, le chaland au clair de lune où la chair, en nul endroit et à l’instant ci-avant précisé, ne mûrit mieux que dans nos vergers ?

Cependant vous eussiez bu l’eau du fleuve jaunasse, violemment fiévreux, vous l’eûtes volontiers échangée contre une eau-de-vie. Croyez-en cette conviction générale qui remplissait les bars ! Une telle eau replète de bactéries anthropophages forçait le respect. Bien plus : s’y noyer signifiait se jeter en pâture à la boulimie des « Sangsues & Crustacés » qui broutaient au fond de cet égout tumultueux. Ces bestioles prospéraient comme les pousse-chimères, comme des comédiens aux regards desquels les femmes se désaltéraient. Sans voir l’hameçon à chaque oreille !
Incessamment la ville charriait des cancans tellement cachés qu’y suffoquait son monde, quand se croisaient les vis-à-vis du paraître, du ça vrai mais absurde d’où qu’en vînt le crédit.

Les gros poissons mangent les petits poissons (De grote vissen eten de kleine) – Pieter Bruegel – 1557 (Museum Boijmans Van Beuningen)

Tout ce chahut sourd occultait l’aspect furtif de ce penseur anonyme. Il errait à l’ombre nord du nombre d’or parce qu’il aimait frissonner. Ça suait la sombre pénitence mais toujours se disait-il curieux de femmes funèbres et de pâles rumeurs. Ces dernières, lorsqu’elles se condensaient, prenaient en lui presque corps. « Sonnez, sonnez les cors ! Les chiens flairent le glas. Sonnez sonnez encor, n’en faites pas un plat ! », sifflait-il.

Ses pensées semblaient vibrer autour de lui. Elles lui permettaient d’aborder sans peur les démons. Il pouvait dès lors braver les maniaques obsessionnels tout aussi bien que ces incrédules contagieux lesquels, pour masquer leur sueur, se jetaient du quai. Encore une fois, le fleuve ne pardonnait que rarement cette audace. Il reliait l’amont avec l’aval : voilà bien où s’arrêtait le fluvial intérêt chez les riverains. La fougue et les grondements de ses eaux inspiraient mieux la terreur que cent mille milliards de sonnets. Ah ! Notre anonyme aurait payé un prix fou pour gerber ces poèmes porteurs de limons et de charognes, se figurant peut-être à la campagne… Danser en taille-douce sur l’herbe et chanter les roses… Fêter ses noces d’or avec un buisson ardent.
À loisir, il souriait aux caresses du zéphyr qui glissait au-dessus. Les âmes en dormant se jouaient du soleil, hors d’usage. Le dôme lunaire souriait pâlement à la mer, arrière-souvenir de naufrages, d’armées de morts galopant avec les vagues. Qu’il paraissait heureux ! Ce silence, il l’appréciait ainsi : pendu aux étoiles. Ça et là, des arbres servaient de potence et des suppliciés flottaient au vent tandis que là-bas, oui jusque-là, dans l’azur ébène se mouraient (par cette mécanique appelée sommeil éternel) oripeaux et flammes, drapeaux de peaux et troupeaux oriflammes.

Combat de fermiers (Boerenruzie) – Pieter Bruegel – vers 1520-1530 (Museum Boijmans Van Beuningen)

Un instant laissa-t-il sa vue se perdre à l’horizon. Ses rêveries basculèrent alors en ce lieu où tout chavirait. De bourrasques tartares entartraient de sable en haut du minaret le muezzin debout, portant sa voix aussi loin qu’il le pût : celle-ci, contrecarrée à bout portant, rebroussait chemin et s’évanouissait dans la bouche.

Notre anonyme s’amusait de telles farces. Et sans plus s’attarder, il reprit ses observations sur le lointain, comme si les nues fussent ponctuées par les réverbères et vêtues de fumées. Eh bien donc, il y lut même certains passages de Faust.

Il les avait par cœur appris lors de longues veilles en compagnie d’un Maître fou qui avait « péter un câble » après avoir reçu le titre de Docteur. Enfin, il s’en était aperçu au bout de dix ans, ce qui en dit assez long sur son étourderie. Cependant, détenteur es-scrupules dans ses entrailles du doute, cet abîme, il enseignait la joie pour s’extraire des labyrinthes philosophiques. Sujet à la mélancolie, il dansait sur la rosée, languissant de lumière. Que ne put-il saupoudrer d’étoiles ce monde pourri et soulager la nature d’une douleur sourde. Allons ! Il rit encore. La terre naquit et renaîtra, se terminait et recommençait, en vain. « La vie à ce prix-là ? Ah ! À l’aide ! Ho ho ho ! » Et de sa propre main il fuît ce monde.

Enfin notre héros n’était pas plus siphonné que ce pleutre poulpe, la poche au noir. Il était bien moins paniqué, d’autant mieux que, loin de s’ennuyer, ce monde truffé de coquins en Sociétés Anonymes, repaires d’assassins, de charognards, de sadiques, en un mot tant de vampires, ce monde n’avait de cesse qu’il ne se laissât découvrir presque froidement, comme une guillotine or, aussi étrange que cela puisse paraître, ce monde l’amusait. « Fort instructif et ma foi, pensait-il, aux cuisines on y coupe à merveille moult cous de poulets. Et pareillement qu’icel… » Remarquons hors propos que notre anonyme, héros par mégarde, avait le mollard leste. « Pour affûter la lame », précisait-il. Ces marauds pourraient plaider autant qu’ils le voudraient, ils n’étaient pas invulnérables et l’acier ferait le reste. Pour d’incertaines nuits sans mémoire au cœur d’un fourneau de forge. À la chasse aux marguerites afin de masquer ces monstres qu’ils furent.

Badaud, il parcourait de vieux bouquins et ainsi se faisait une opinion à propos de la frayeur publique : en ces ans qui tressaient un berceau à l’Indécision, la démesure dans l’usage de la force illustrait parfaitement combien la peur avait changé de camp.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

un + 13 =