Introduction à la Science de la Publicité
Part.II - art. 60 à 78

par Jean-Pierre Voyer

" Es muss sein. Es muss sein. "
Ludwig van, sept. 1826.

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Nous devons être persuadés que la nature du vrai est de percer quand son temps est venu, et qu'il se manifeste seulement quand ce temps est venu ; c'est pourquoi il ne se manifeste pas trop tôt et ne trouve pas un public sans maturité pour le recevoir ; nous devons aussi être persuadés que l'individu a besoin de ce résultat pour que se confirme comme public ce qui n'est encore que sa conviction solitaire, et pour éprouver comme quelque chose de général la conviction qui appartient d'abord seulement à la particularité. Toute la vie sociale est essentiellement publique. Elle contient le négatif comme apparence. Elle est l'unité de ce qui existe et de l'apparence de ce qui existe. Tous les mystères qui entraînent l'individu au mysticisme spectaculaire trouvent leur solution rationnelle dans la publicité. Sous un aspect aliéné et abstrait, la publicité est devenue une mode sur la terre parce qu'elle semble glorifier les choses existantes. Sous son aspect rationnel, elle est un scandale et une abomination pour les classes dirigeantes et les idéologues doctrinaires, parce que dans la conception positive des choses existantes elle inclut du même coup l'intelligence de leur négation ; parce qu'étant le mouvement même de l'histoire humaine, rien ne saurait lui en imposer ; parce qu'elle est essentiellement critique et révolutionnaire ; parce que la publicité de la misère ne se distingue pas de l'idée de sa suppression.

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Cet état de choses atteint son plus grand développement dans la forme la plus moderne de la société bourgeoise : la société du spectacle. C'est donc là seulement que la catégorie abstraite de l'échange en général, de l'échange comme généralité, devient vraie dans la pratique. Les individus considèrent alors comme fortuit le contenu particulier de l'échange, la forme particulière du besoin, pour ne s'attacher qu'à sa généralité. Le spectacle est la fureur de l'abstraction ou parfois l'abstraction qui fait führer. L'indifférence à tout contenu particulier de l'échange suppose qu'il existe une diversité élargie de contenus concrets de l'échange et qu'aucun d'eux ne prédomine sur les autres. L'abstraction de l'échange public, de l'échange en général n'est pas seulement le résultat intellectuel d'une totalité concrète de la diversité : l'indifférence à tout contenu déterminé de l'échange répond à une forme de société où se trouvent réalisées la diversité des produits et des besoins et la généralisation de l'échange. C'est alors que la grande masse de la diversité se réduit à une même unité générale et qu'on cesse de la concevoir sous une forme particulière. Seule la forme de la publicité est prise en compte, au prix de son contenu. Seule la forme de la richesse (la généralité) est prise en considération, au mépris de son contenu (la diversité). C'est ce qu'exprime pauvrement le con McLuhan : " Le moyen est le message. " Qu'importe l'ivresse pourvu qu'on ait le vin.

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La société du spectacle est le phénomène achevé de la publicité, où la publicité absente rejoint son concept à force d'absence. Si le phénomène est la cause, il est aussi l'effet. Aussi, le spectacle est-il ce concept hors de lui-même, purement extérieur. Le spectacle est le concept objectif de la publicité, l'esprit objectif, la publicité comme nature. La pensée de Hegel devient vraie. La nature est une imitation de l'idée. Le spectacle est la publicité sous la forme de l'altérité, absolument parlant, de l'objectalité indifférente, extérieure, et de l'effectuation concrète, individualisée, de ces moments - c'est-à-dire la publicité sous la détermination de l'immédiateté, absolument parlant, par rapport à sa médiation. Le devenir du spectacle est un devenir en direction de la publicité.

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Debord part du fait que le spectacle rend l'homme étranger à lui-même et dédouble le monde en un monde public, objet de contemplation, et en un monde quotidien. Son travail consiste à résoudre le monde public à sa misère quotidienne. Il ne voit pas que ce travail une fois accompli, le principal reste encore à faire. Le fait notamment que le monde public se détache de la vie quotidienne, constituant ainsi un royaume autonome de la publicité, ne peut s'expliquer précisément que par l'identité du spectacle et de l'objectivité de la publicité. Debord ne nomme pas ce dont le spectacle est le spectacle. Il ne nomme pas ce qui s'est éloigné dans une représentation et ne fut cependant jamais si proche, autant achevé comme éloignement, et qui peut être directement vécu. " Not just data. Reality ! " Le spectacle est le spectacle de la publicité, la publicité réalisée comme objet abstrait, et le seul besoin produit par le spectacle est le besoin de publicité. La publicité comprend trois moments :

1) le moment de la notoriété, ce qui est fait en présence du public ;

2) le moment de la propriété, ce qui appartient au public ;

3) le moment de l'unité des deux précédents, ce qui est fait par le public en présence du public, la publicité absolue. Dans le spectacle, il n'y a de notoire que le spectacle de la publicité ; il n'y a de propriété qu'une commune privation de publicité. Ce qui est notoire n'appartient pas au public. Ce qui appartient au public n'est pas notoire. La vie quotidienne est la vie totalement privée de publicité.

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L'intérêt individuel est déterminé par la publicité. Il ne peut être atteint que dans les conditions données par la publicité, grâce aux moyens fournis par elle. Aujourd'hui, le spectacle de la publicité - la célébrité généralisée et étendue à tous - l'a emporté sur tous les rapports de production. La dépendance mutuelle des individus qui est alors achevée - tandis que par ailleurs ils demeurent positivement hostiles les uns aux autres - se manifeste par la nécessité perpétuelle de l'échange. C'est seulement par l'échange désormais que l'activité ou le produit de chaque individu devient pour lui une activité ou un produit. Mais alors que les conditions de la publicité sont réunies et que, par l'intermédiaire du spectacle, la totalité du travail se rapporte à elle-même, la publicité a totalement déserté l'échange particulier pour se dresser face à lui. L'échange universel des activités et des produits, qui est devenu la condition de vie et le rapport mutuel de tous les individus particuliers, se présente à eux comme une chose étrangère et indépendante. Le spectacle est la dictature de la publicité et le sauvage moderne est soumis à cette dictature à un point que le sauvage archaïque ne pouvait connaître. Par la littérature ethnographique, nous reconnaissons dans la pratique de la publicité par le sauvage archaïque une grandeur qui nous fait défaut. Mais, c'est parce que nous sommes totalement privés de cette grandeur que nous la connaissons.

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L'échange est l'élément de la publicité. Seulement, la publicité n'y a jamais résidé. De tout temps, l'échange fut une invocation de la publicité, aujourd'hui plus que jamais. Au fur et à mesure du développement du spectacle comme rapport de production, tous les travailleurs sont destinés à devenir des cadres. Le contraste entre les moyens de publicité et le retrait absolu de la publicité hors de son élément rend dérisoires, ridicules et grotesques les agissements magiques des cadres et de tous ceux qui veulent le devenir. Le cadre est celui qui travaille tout le temps. C'est-à-dire celui qui ne travaille jamais, ou plutôt qui s'épuise à ne jamais travailler. Il est lui-même son propre capitaliste, sa propre entreprise de suppression du travail. Toute son activité, toute son ambition sont tournées vers un seul but : éprouver qu'il ne travaille pas. Mais quoi qu'il fasse, la publicité se refuse à lui. Après le coït, le cadre est triste.

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La hausse du salaire excite chez le cadre la soif d'enrichissement du capitaliste mais ne peut la satisfaire par principe. Le spectacle est aussi bien la réduction à rien du salaire, puisque tout ce que consomme le pseudo-travailleur est pour lui superflu et seulement utile à la conservation du spectacle ; que son extension infinie à tout, puisque tout n'est plus produit qu'en vue de la consommation spectaculaire par le pseudo-travailleur, consommation spectaculaire qui est en fait consommation productive de spectacle, pseudo-travail et pseudo-vie, équateur absolu de l'aliénation. Pour le capital, le seul travail est le travail d'autrui. L'économie est l'économie du travail d'autrui. Aussi, le travail du capitaliste n'est-il pas du travail. C'est du travail fictif, du temps passé à supprimer l'indépendance du travail d'autrui. La fonction sociale de l'échange est concentrée dans le capitaliste. Dans le spectacle, toute la vie tend à devenir du travail de capitaliste, du pseudo-travail. " Faites de votre vie une affaire. " Le cadre, de même que le policier, est un pseudo-travailleur. Le spectacle a essentiellement pour but de produire des pseudo-travailleurs. Déjà, aux États-Unis d'Amérique, 70% de la population dite active font semblant de travailler ailleurs que dans l'agriculture, les industries d'extraction, les industries de transformation, les transports et les télécommunications. Le capital apparaît de plus en plus comme une puissance sociale dont le cadre est le fonctionnaire. Ainsi le cadre est la vérité du capitaliste. Le cadre est l'esclave de la publicité. Le cadre est l'éclatante révélation du secret de la misère du mystérieux pôle positif de l'aliénation, le secret de l'esclave sans maître.

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L'homme qui n'a pas éprouvé l'angoisse du cadre ne sait pas que le monde de la publicité spectaculaire lui est hostile, qu'il tend à le tuer, à l'anéantir, qu'il est essentiellement inapte à le satisfaire réellement. Cet homme reste donc au fond solidaire avec le monde du spectacle. Il voudra tout au plus le réformer, c'est-à-dire en changer les détails ; faire des transformations particulières sans modifier ses caractères essentiels. Cet homme agira en réformiste habile, voire en conformiste, mais jamais en révolutionnaire véritable. Or le monde où il vit n'appartient plus à aucun maître humain ou divin, et dans ce monde il est nécessairement esclave sans maître. Ce n'est donc pas la réforme et le changement de maître mais la suppression dialectique, révolutionnaire, du monde qui peut le libérer et par suite le satisfaire. Cette transformation révolutionnaire du monde présuppose la négation, la non-acceptation du monde du spectacle dans son ensemble. Et l'origine de cette négation absolue ne peut être que la terreur absolue inspirée par le monde du spectacle. Le monde du spectacle est précisément le monde qui se donne dans son ensemble, et comme ensemble n'appartenant à aucun maître particulier. Seul le cadre peut transformer le monde qui le forme et le fixe dans la servitude et créer un monde formé par lui et où il est absolument impossible de vivre. Et le cadre n'y parvient que par le pseudo-travail forcé et angoissé exercé au service du spectacle. Certes, ce travail ne libère pas et est le contraire de la libération. Mais en transformant le monde en monde ab-hominable par ce travail insensé, le cadre crée ainsi les conditions objectives nouvelles qui permettront de reprendre la lutte libératrice pour la reconnaissance qu'il a de prime abord refusée par crainte de la mort. Et c'est ainsi que tout travail spectaculaire, toute consommation spectaculaire de capital, réalise non pas un monde du spectacle, mais inconsciemment d'abord l'Esprit qui finalement réussit là où le spectacle échoue.

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La théorie de la plus-value et les lamentations réformistes y afférant reposent sur l'idée qui veut qu'un homme puisse vivre de pommes de terre. Cette idée, de même que l'époque qui l'a engendrée, est fausse. Seul un gauchiste ou une bête peut vivre de pommes de terre. L'homme vit principalement de publicité. Le spectacle est la ruine effective de cette théorie produite par un moment déterminé de l'exploitation et qui disparaît avec lui. Tout se révèle identiquement nécessaire et superflu, tandis que le fondement vient occuper le premier plan, mais hors de portée des nains contemplatifs, comme un objet abstrait, comme une idée objective. La société du spectacle est l'abolition de toute distinction entre travail nécessaire et surtravail, entre salaire et profit, entre vie et travail. L'exploitation s'abolit dans l'aliénation absolue, dans l'étrangeté de la totalité des individus pour la totalité des individus. L'exploitation est le moyen terme de l'aliénation. L'exploitation eut de tout temps la publicité pour but unique. Ainsi depuis l'invention de l'exogamie, qui est publicité proprement dite, une moitié de notre puissante race est écartée de la publicité. Dès l'origine, les femmes ont été sacrifiées à la pratique de la publicité et de ce fait exclues de cette pratique, objets d'échange parmi bracelets, colliers, cuivres et canots. L'échange que constitue le mariage exogamique ne s'établit pas entre un homme et une femme : il s'établit entre deux groupes d'hommes, et la femme y figure comme un des objets d'échange et non comme un des termes entre lesquels il a lieu. Et l'échange sexué entre l'homme et la femme reste forcément une communication privée, privée de publicité. Le manque de publicité de l'échange sexué, qui demeure en ceci bestial, n'est que la contrepartie d'un fait universel : le lien de publicité qui fonde le mariage exogamique n'a pas été établi entre des hommes et des femmes, mais entre des hommes au moyen de femmes, qui en sont seulement la principale occasion. Pour l'homme mâle, l'échange sexué, de même que tout échange, n'est qu'un moyen de pratiquer une activité plus haute. Le mariage exogamique, libérateur pour l'homme mâle qui entre dans le cercle des détenteurs de l'autorité, du pouvoir cérémonial et du savoir supérieur, public, est sujétion pour l'homme femelle qui se voit relégué à un rang inférieur et enfermé dans la région domestique, privée de publicité. Ce point de vue doit être maintenu dans toute sa rigueur en ce qui concerne notre société où cette situation est strictement inchangée, à cela près que c'est désormais la totalité de l'humanité qui est privée de publicité. La société du spectacle est l'achèvement du tort absolu que l'exploiteur fait à lui-même, au moyen du tort relatif qu'il fait à l'humanité. L'aliénation absolue est la vérité de l'exploitation. L'exploitation de la femme par l'homme fut seulement l'exploitation initiale de l'homme par l'homme. Dans l'aliénation absolue, qui est aussi bien exploitation absolue, exploitation de tous par tous, bêtise absolue, tout existe enfin, mais il existe ailleurs. La proposition de l'aliénation est donc : " Tout est loin de tout et réciproquement. "

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Le spectacle a retiré sa faveur au producteur pour l'accorder au consommateur. Il a affiché une horreur sacrée pour les atrocités sanglantes du capital simple ; il a déclaré que la publicité est un lien d'amitié et d'union entre les nations et les individus. Tout n'est plus que noblesse et générosité. Cependant, dans cette société d'abondance et de consommation, il n'y a d'abondance et de consommation que l'abondance du capital et la consommation de capital. C'est-à-dire abondance de travail salarié, puisque le travail salarié est par définition consommation de capital. La " production " capitaliste devient absolument ce qu'elle était essentiellement : consommation de capital, où le but devient moyen et réciproquement. La consommation de capital est production de capital, c'est-à-dire production de la publicité comme indépendance, comme moyen qui n'est pas lui-même un médiatisé. L'échange est devenu le but de la publicité et la publicité est devenue le moyen de l'échange. Voilà quel est le concept du monde réellement renversé où le vrai est un moment du faux.

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Jusqu'à présent, les révolutions furent des changements de maître. Avec la faillite de l'exploitation, c'est la totalité de l'humanité qui est expropriée de son humanité. La totalité est malade d'elle-même. L'humanité comme unité négative, comme unité de l'inhumain, est accomplie. Avec la faillite avérée des maîtres, l'humanité s'est gâté toute satisfaction partielle. La publicité achevée comme idée objective s'est retirée de tous les secteurs de la vie. C'est le devenir monde de l'argent, le devenir monde de la rareté, la rareté absolue. C'est seulement quand tout existe que l'homme peut être privé de tout. Dans la société du spectacle, le spectateur est une pure subjectivité, pauvreté absolue sans mains, sans yeux, ni oreilles, ni rien ; mais la chose qui lui fait face est l'idée de la véritable communauté : il cherche à la dévorer, mais c'est elle qui le dévore. La société du spectacle est la pure subjectivité et la pure objectivité qui se font face enfin.

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Les classes dominantes du passé se bornèrent à prétendre à la nécessité de la misère. Elles expérimentèrent par leur disparition que sa publicité ne se distingue pas de sa suppression. Instruits par ces désastres et pour la première fois dans l'histoire, ceux qui s'imaginent diriger ce monde ne prétendent plus à la nécessité de la misère. Non seulement ils n'y prétendent plus, mais ils prétendent à sa suppression. Or c'est une seule et même chose de prétendre à l'inexistence de la misère ou de prétendre à la réalisation de la publicité, car il n'y a de misère que de la publicité. La stratégie de la bureaucratie est donc : bien que dans la troupe il n'y ait que des jambes de bois, faire que cela ne se voie pas. La nôtre est : faire que cela se voie. Certes, chacun est parfaitement renseigné sur sa propre misère. Il ne s'agit donc pas pour nous d'avoir l'outrecuidance de ceux qui prétendent montrer à chacun qu'il est malheureux, chacun étant mieux placé que personne pour le savoir. Ce genre de fausse indiscrétion terroriste est même la propre tactique d'intimidation de la police publicitaire : " Vous n'avez pas encore de carte bleue ! Cela cache quelque chose ! " Par contre, ce qui est réellement caché, ce sur quoi chacun est parfaitement ignorant, grâce aux efforts déployés par les dirigeants, c'est la misère des autres, dirigeants y compris. Ils ont la carte bleue ! Cela cache quelque chose ! Dans le spectaculaire diffus, ce sont les spectateurs eux-mêmes qui se donnent en spectacle. En ce sens donc, chacun est mal renseigné aussi sur sa propre misère, puisque sa propre misère ne consiste que dans l'ignorance de celle des autres. Le but de la science est alors fixé : il s'agit de faire la preuve de la misère des autres - principalement des dirigeants.

1) Il faut d'abord comprendre une telle misère dans son principe, ce qui revient à en établir la preuve. La théorie de la publicité est la critique de l'absence de la publicité du point de vue supérieur et cependant non extérieur de la publicité. La preuve de la misère consiste à mettre en lumière ce qu'a de spécifiquement, de précisément moderne la forme actuelle de la misère, ce en quoi elle est achevée, à la fois ancestrale et nouvelle. La preuve de la misère, la preuve de son immensité consiste à établir l'immensité de l'aspiration encouragée par le spectacle, c'est-à-dire l'immensité de l'aspiration régulièrement déçue par le spectacle. L'aspiration identiquement encouragée et déçue par le spectacle est l'aspiration à la publicité. La forme moderne de la misère est avant tout la privation de publicité, l'insatisfaction du besoin de publicité. C'est donc aussi bien la production achevée de ce besoin. Ainsi la preuve par la publicité est-elle une preuve non extérieure, une preuve ad hominem, du genre de celles dont les masses s'emparent si volontiers. La publicité est une idée qui est dans toutes les têtes et ce n'est pas nous qui l'y avons mise.

2) Il faut ensuite assurer la notoriété de cette preuve. Ce qui se produit alors est inéluctable. L'histoire en fournit maints exemples célèbres. La notoriété de cette preuve n'offre plus de nos jours aucune difficulté sérieuse. Ceci est le revers de la stratégie des dirigeants : à prétendre à la réalisation de la publicité, ils donnent à chacun du goût pour la publicité. Cette société est à la merci d'une indiscrétion. Il faut entretenir systématiquement ce genre d'indiscrétion qui porte sur le fondement, à l'encontre des pseudo-indiscrétions réformistes, " kleine krämerie " de l'indiscrétion, qui portent sur le prix du beurre ! C'est là notre stratégie. C'est la stratégie du coup du monde, progressive puis brusque. C'est la stratégie des ennemis de l'État. C'est la stratégie des ennemis de la stratégie, des ennemis des manipulateurs, car la publicité est toujours révolutionnaire. La réhabilitation de l'apparence ne se borne pas à sa réhabilitation théorique. C'est avant tout la restauration pratique de l'apparence dans sa pureté, dans sa non-existence, dans sa pure négativité, comme ce qui est seul capable de dissoudre l'apparence qui est, le phénomène, le spectacle.

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Le besoin de publicité est la civilisation achevée du besoin bestial et borné qui mord quand on lui prend son os, et qui, pendant des millénaires, a maintenu sa loi à travers tout son processus de raffinement. Le besoin de publicité est le besoin raffiné et civilisé, le besoin dans ce qu'il a de spécifiquement humain, le besoin sous sa forme humaine achevée. Une chose est désormais certaine : le besoin de publicité est devenu le premier besoin de l'homme. La passion de la publicité a toujours été la passion dominante de l'homme ; mais c'est seulement avec la réalisation achevée de la publicité comme abstraction que le besoin de publicité est devenu le premier besoin de l'homme. La production du besoin de publicité est identiquement - dans le mouvement d'abstraction et d'aliénation qui fut le mouvement de sa réalisation - la production de son insatisfaction. L'insatisfaction du besoin de publicité est la forme spécifiquement moderne de la misère, dans ce qu'elle a d'achevé, de nouveau et d'ancestral. La forme générale de la misère a dépouillé toutes ses formes accidentelles pour devenir essentielle, parce que la richesse elle-même a dépouillé toutes ses formes accidentelles pour devenir essentielle. La forme spécifiquement moderne de la richesse n'est autre que la publicité, cette véritable substance humaine ; mais comme spectacle et comme abstraction. Jamais la misère ne fut aussi grande et aussi secrète, car jamais la richesse ne fut plus grande et plus ostensible. Mais cette richesse est devenue une illusion pure - contrairement à la richesse passée, mi-réalité, mi-illusion -, une richesse pour personne et une misère pour tous. La richesse n'est plus que la richesse du genre humain. Elle n'est la richesse d'aucun individu en particulier. L'opposition de l'individu et du genre est achevée, ce qui signifie que la production du genre est elle-même achevée et que celle de l'individu est imminente. L'étendue de la misère ne se distingue plus de l'étendue de la richesse. En fait, l'opposition ancestrale de la richesse et de la misère a déjà cessé dans l'équateur de l'aliénation. Si la publicité est le bien suprême, la publicité abstraite est le mal absolu, le vrai péché contre l'humanité. Le fruit est mûr, les riches ne sont plus que de sales pauvres, et les pauvres sont de sales riches.

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Le besoin de publicité ne saurait être satisfait par l'abstraction de la publicité, qui est le contraire de la publicité, à savoir l'opposition du particulier et du général. De ce fait, une enquête sur la misère des gens se résout en une seule question : qu'est-ce qui fait acheter, quel est le pouvoir occulte de la marchandise ? Car la réponse fort simple tient en une seule proposition : ce qui fait acheter, le pouvoir occulte de la marchandise, est le besoin de publicité. Oui, l'ennui est la rançon de l'individualité abstraite ! Oui, l'ennui est la nostalgie d'un contenu substantiel ! Si les gens achètent, si les gens échangent avec fureur, ce n'est pas pour quelques raisons particulières, mais pour une seule raison générale. La connaissance de cette raison ne se distingue pas de la connaissance de l'immensité de la misère moderne. Elle en est la preuve indiscutable.

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La baisse tendancielle de l'utilité particulière dans l'inflation spectaculaire ne se distingue pas de la montée subséquente d'une utilité générale qui s'oppose à toute utilité particulière : l'usage de l'échange pour l'échange, l'usage de la marchandise en tant que marchandise : c'est-à-dire en tant que la marchandise est le représentant de l'argent. La société du spectacle est la démocratisation de l'argent. Le devenir monde de l'argent est l'avilissement de l'argent, voilà le grand corrupteur corrompu. Si l'ancien riche faisait usage de l'argent pour lui-même et connaissait dans la prodigalité ou dans l'avarice une certaine grandeur, le spectateur ne connaît plus que la forme imparfaite de l'argent, l'argent fait marchandise particulière. Si, pour le spectateur particulier, l'argent consiste dans la pieuse communion de l'achat, il est, comme liturgie1, le très saint mystère de l'incarnation. Par son avilissement, l'argent que l'on regarde seulement prend corps dans la substance de la richesse, l'argent devient visible dans cette écorce charnelle. Ainsi est révélée à l'humanité étonnée la présence de la divine forme humaine dans la modeste substance marchande. Chaque besoin particulier devient un simple prétexte à pratiquer l'argent ; chaque spectateur voudrait se persuader en persuadant qu'il est un gros échangiste. Il recherche dérisoirement la généralité dans une diversité multiforme. Cette pratique n'est qu'une pseudo-pratique de la généralité et demeure quelque chose de désespérément particulier.

l. Liturgie : du latin ecclésiastique liturgia, emprunté au grec leitourgia, service public (Dauzat/Larousse).

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Il faut ici différencier suivant leur détermination propre le général et le particulier ; le général, pris formellement et posé à côté du particulier, devient lui-même aussi quelque chose de particulier. Une telle position, dans le cas d'objets de la vie courante, frapperait d'elle-même comme inadéquate et maladroite, comme si par exemple quelqu'un qui réclamait des fruits repoussait cerises, poires, raisins, etc., sous prétexte que ce seraient là des cerises, des poires, des raisins, mais non pas des fruits. Et que font d'autre les misérables modernes qui, prétendant se passer de l'échange, repoussent les fruits de l'industrie sous prétexte que ce n'est pas là de l'humanité en général ? La position inverse qui consisterait à goûter des cerises, des poires, des raisins sous prétexte que ce sont bien là des cerises, des poires, des raisins, mais en y cherchant furieusement le fruit, sans être capable de prendre garde à leur saveur particulière, est tout aussi inadéquate et maladroite. Or que font d'autre les misérables modernes qui consomment fébrilement les fruits de l'industrie dans le seul espoir non avoué de pratiquer l'humanité en général ? Ce faisant, celui qui aspire à être un maigre échangiste, aussi bien que celui qui aspire à être un gros échangiste, se prive et du particulier et du général. L'objet qui était prestigieux dans le spectacle devient vulgaire à l'instant où il entre chez le spectateur ; mais ceux qui prétendent renoncer à de tels objets doivent en fait, aussi, renoncer à l'humanité. Le général ne se goûte réellement que dans le particulier ; mais le particulier est fade hors du général. La forme de la richesse est la généralité. La substance de la richesse est la particularité. La publicité est l'identité de la forme et de la substance de la richesse ; c'est l'unité du particulier et du général ; c'est la richesse restaurée par la suppression de l'opposition de la richesse et de la misère.

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Le besoin de publicité, le besoin de généralité est l'énigme résolue de la fameuse question des pseudo-besoins. Un seul besoin fondamental se manifeste dans le fourmillement des besoins particuliers, raffinés à l'envi par le spectacle : le besoin d'échanger, le besoin de pratiquer la publicité, le besoin de pratiquer l'humanité. Il s'ensuit que tout besoin est identiquement vrai et faux. Il est vrai, car il est un mode du besoin de publicité, il est un mode de la véritable substance humaine. Il est faux, car il est un mode non effectif, privé d'effet, un mode qui porte à son paroxysme l'opposition du général et du particulier. On imagine aisément, avec le secours de la science, l'immense déconvenue du misérable spectateur dans la liturgie marchande, quand on connaît la grandeur de l'enjeu et la dérision des moyens. Cependant, l'esclave spectateur - et principalement le " cadre ", ce fonctionnaire modèle du capital appelé à devenir le type commun de l'humanité spectaculaire - préférerait se faire couper en morceaux plutôt que de laisser deviner l'étendue de son malheur. Maintenant que la science s'est emparée de la chose et que la terreur abjecte dans laquelle vit le spectateur sera bientôt connue, comment osera-t-il paraître dans la rue que présentement il encombre avec une euphorie feinte ? Ce que nous prétendons et que nous allons prouver est extrêmement simple : nous prétendons que ces gens qui affichent pourtant une superbe apparence vivent dans une terreur sans borne ; nous prétendons qu'ils sont, sans relâche, la proie d'une obsession insoutenable qui atteint à l'hébétude. Et nous savons désormais quelle est cette obsession dont Krafft-Ebing et Reich avaient déjà recensé des cas particuliers et que nous-mêmes pressentions dans notre Reich mode d'emploi. Cette obsession est l'obsession de la publicité. Citoyens, ces gens qui aimeraient tant nous en imposer quand nous les croisons dans la rue - ou ailleurs - ne sont en vérité que des misérables obsédés par le besoin de publicité, aux prises avec un malheur accablant qui ne leur laisse aucun répit, et à côté duquel les obsessions produites par l'insatisfaction du besoin sexuel - cette forme particulière du besoin de publicité - ne sont que billevesées. Qui l'eût cru ! Jamais la publicité ne fut autant absente. Jamais la publicité ne fut autant présente. Chaque jour, il devient de plus en plus difficile, de plus en plus douloureux d'être un con ou une conne. La connerie a cessé d'être une sinécure, la connerie prosélytique moderne se donne à elle-même du souci. Pour la première fois dans l'histoire, la bêtise cesse d'être une énigme pour l'intelligence et l'intelligence devient une promesse de bonheur. ' spectateurs compréhensibles, ce n'est pas moi qui lancerai des injures à votre grande dégradation ; ce n'est pas moi qui viendrai jeter le mépris sur votre vie informe. Il suffit que l'ennui honteux et presque incurable qui vous assiège porte avec lui son immanquable châtiment. Ce n'est pas une interrogation que je vous pose ; car depuis que je fréquente en observateur la sublime bassesse de vos intelligences bornées, je sais à quoi m'en tenir. Il me faut des êtres qui me ressemblent, sur le front desquels la noblesse humaine soit marquée en caractères plus tranchés et ineffaçables. Etes-vous certains que ce qui contemple soit de la même nature que la mienne ? Je ne le crois pas, et je ne déserterai pas mon opinion. Spectateurs de tous les pays, supprimez-vous.

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Nous avons donc découvert dans le secret de nos laboratoires le sésame ouvre-toi qui peuple les rêves de tous les publicitaires. Pour la première fois dans l'histoire mondiale, nous savons ce qui fait vendre, ce qui fait acheter. La soif d'aujourd'hui est une soif de publicité, une soif de ce qui est vrai. Comment les publicitaires pourraient-ils demeurer insensibles à une telle découverte ? Les plus hardis d'entre eux devront immédiatement appliquer nos thèses afin de se hisser à la première place dans leur misérable profession. Ils seront nos meilleurs propagandistes ! " Il faut pénétrer la force de l'ennemi ", a dit Hegel ! Cette société est à la merci d'une indiscrétion et cependant chaque publicitaire doit se montrer encore plus indiscret qu'il n'a été. À force d'en dire toujours un peu plus pour faire vendre encore un peu plus, les publicitaires vont finir par tout dire ! Leur application de nos principes scientifiques fera bien vendre encore un peu plus quelque temps. Mais surtout, elle fera cesser de vendre tout à fait en très peu de temps. Dans la bataille de la publicité, dans la bataille de la conscience qui est déjà engagée, voici une tactique qui est plaisamment comique ! Ce monde se passe chaque jour davantage de la réalité. La réalité pourra bientôt se passer de ce monde.

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La forme que nous avons donnée à cet exposé ne présente pas seulement l'avantage scientifique et esthétique d'une intelligence parfaitement maîtrisée. Elle convient aussi supérieurement à une science dirigée non vers le maintien et le développement escompté du présent ordre spectaculaire, économique et social, mais bien vers son renversement révolutionnaire. Elle ne permettra pas un seul instant au citoyen lecteur de s'adonner à la contemplation des réalités directement saisissables et à leurs connexions fantaisistes, mais va droit au malaise interne dans tout ce qui existe.

À bas le travail ! À bas la vie quotidienne ! À bas la France !