Introduction à la Science de la Publicité
Part.I - art. 41 à 59

par Jean-Pierre Voyer

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Tout ceci est en fait une définition de la publicité absolue ou une définition absolue de la publicité. Il est difficile de donner une définition directe de la nature de la publicité qui ne soit pas absolue, car la publicité apparaît tout d'abord comme étant le troisième élément à côté des deux autres que sont le travail et l'échange, l'immédiat et la relation. Aussi bien peut-on dire que le travail et l'échange sont les moments du devenir de la publicité ; mais elle est, elle, leur base et leur vérité, en tant qu'identité dans laquelle ils sont plongés et où ils se maintiennent. Ils sont en elle parce qu'elle est leur résultat, mais ils n'y sont plus en tant que travail et échange, ils ne sont travail et échange qu'aussi longtemps qu'ils n'ont pas contracté cette unité. Bien plus : le devenir de la publicité est l'histoire de l'opposition du travail et de l'échange. Les moments de ce devenir sont l'exploitation et l'aliénation. Une définition non absolue de la publicité serait : la publicité est d'abord l'opposition agissante du travail et de l'échange, puis ensuite la réconciliation du travail et de l'échange dans une unité supérieure. Seulement, l'opposition du travail et de l'échange qui est l'histoire de la publicité est tout le contraire de la publicité. Le travail et l'échange ne s'opposent que parce que la publicité fait défaut. Mais dire que le travail et l'échange s'opposent parce que la publicité n'existe pas, c'est dire que la cause de cette opposition, ce qui agit dans cette opposition, est l'absence même de la publicité, ou encore que la publicité qui n'existe pas est quelque chose qui existe, et que l'absence de la publicité ne se distingue pas de la nécessité de la publicité, c'est-à-dire de la publicité comme nécessité.

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On commettrait une erreur, si on établissait la succession des catégories historiques dans l'ordre de leur influence présente. Tout au contraire, leur ordre est déterminé par leur rapport au sein de la société du spectacle moderne. On obtient alors exactement l'inverse de leur ordre de développement historique. La réflexion sur les formes de la vie sociale, et, par conséquent, leur analyse scientifique, suit une route complètement opposée au mouvement réel. Elle commence après coup, avec des données déjà tout établies, avec les résultats du développement.

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La publicité a pour préliminaire immédiat son absence. Il n'est rien de plus inepte et de plus faux que de fonder un espoir de publicité sur une immédiateté, alors que l'échange est immédiatement le contraire de la publicité. La publicité ne saurait être immédiate, car, étant le négatif absolu, le négatif qui se rapporte à lui-même, elle est essentiellement son propre résultat. Le devenir de la publicité est donc le mouvement du paraître dans soi de la totalité. L'histoire se confond avec la progression de l'apparence.

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Aujourd'hui, la publicité est devenue pure expression abstraite d'elle-même, pure expression abstraite du rapport le plus général et le plus ancien de la production humaine, de la catégorie valable dans toutes les sortes de sociétés. Hegel a justement conçu le réel comme le résultat de la publicité qui se concentre sur elle-même, s'approfondit et se meut d'elle-même et le caractère général de toutes les tentatives révolutionnaires récentes est celui d'efforts pour que l'Esprit soit reconnu comme principe. Si la méthode qui consiste à s'élever du concret à l'abstrait est bien pour la pensée, la manière de s'approprier le concret, de le reproduire sous la forme du concret pensé, ce n'est en aucune manière le procès de genèse du concret lui-même. L'abstrait est le moment essentiel du concret et il demande à ce titre à être lui-même produit.

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Le procès de production du concret est principalement production d'une abstraction croissante. Avec l'achèvement de ce processus dans la société du spectacle, c'est la totalité de ce qui existe qui est passée du côté de l'abstraction, et le concret n'est plus qu'un moment de l'abstrait. Ainsi les abstractions les plus générales ne surgissent qu'avec le développement concret le plus riche, et c'est pourquoi tous nos concepts sont des concepts pris à l'ennemi. Cette abstraction la plus générale qu'est devenue la publicité - à vrai dire, la généralité comme abstraction - placée par le spectacle au premier rang et exprimant le rapport ancestral valable pour toutes les formes de la société, n'est pratiquement vraie dans toute son abstraction, c'est-à-dire à la fois efficace et abstraite, que comme catégorie de la société la plus moderne où s'est précisément développée l'absence totale de publicité, c'est-à-dire l'existence de la publicité unie à l'inexistence de la publicité. Cette absence est une production de cette société la plus développée, et les moyens de cette production ne sont autres que les moyens de la publicité. Aussi l'absence de la publicité est-elle enfin devenue son abstraction réalisée, son idée matérialisée. Autrement dit, nous ne connaissons cette expression abstraite que parce qu'elle est réalisée comme abstraction. Cependant, comme catégorie, la publicité a une existence antédiluvienne. Les catégories abstraites bien que valables pour toutes les époques, en raison de leur abstraction, n'en sont pas moins le produit de conditions historiques. L'histoire est l'histoire de l'abstraction ; et si les abstractions modernes ont toujours existé, ce n'est pas toujours sous forme d'abstractions.

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De même, l'abstraction absolue qu'est l'apparence, placée au premier rang par la philosophie hégélienne et exprimant le moment essentiel du rapport humain ancestral valable pour toutes les formes de sociétés, n'est pratiquement vraie dans toute son abstraction, c'est-à-dire à la fois efficace et abstraite, que comme réalité de la société la plus moderne où, précisément, la vie se présente comme une immense accumulation de spectacles et où tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans une représentation. La découverte scientifique du caractère social de l'apparence marque une époque dans l'histoire du développement de l'humanité, et sa publicité dissipera la fantasmagorie qui fait paraître l'apparence comme une propriété des choses elles-mêmes.

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Pour certains praticiens des grotesques sciences humaines, le passé est censé expliquer le présent. Ceci n'est que l'aveu masqué de leur impuissance à comprendre le présent. On ne fréquente pas impunément l'université. Le secret de la société moderne n'est pas dans les sociétés archaïques ou les sociétés animales, mais la société la plus moderne est le secret révélé des sociétés archaïques ou animales. De même, le fait que l'animal échange ne signifie pas que l'homme soit bestial, mais au contraire que l'animal est humain. Contrairement à l'idée bien répandue et fausse, le fait que l'homme connaisse l'échange sexué ne signifie pas que l'homme soit bestial, mais bien que l'animal est humain dans ce rapport. Les déterminations qui distinguent l'animal de l'homme sont les déterminations de l'homme lui-même. L'homme est la vérité de l'animal, l'animal vrai. Le genre humain est le genre de tous les animaux. Ainsi, l'homme est-il plus animal que l'animal puisqu'il est l'animal vrai, et la publicité est-elle plus universelle que l'univers puisqu'elle est la vérité de l'univers, l'univers vérifié, l'univers fondé, l'univers supprimé.

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L'ethnographie ne peut fournir des idées à ceux qui n'en ont pas. Comment des misérables qui ont renoncé à tout espoir de richesse, qui n'ont critiqué dans leur vie aucun des aspects de notre monde trivial et se sont accommodés de tous, pourraient-ils concevoir la richesse. Lorsque la société moderne est incapable de comprendre une société ancienne, c'est simplement qu'elle est elle-même trop archaïque et n'a pas produit un degré suffisant d'abstraction, d'absence, de rareté. L'ethnographie ne peut être que la pierre de touche de la science de la publicité et ne peut en aucun cas fournir le principe de cette science. Si une société demeure incompréhensible pour la science de la publicité, c'est simplement que cette science est insuffisamment développée dans une société insuffisamment développée et qu'elle ignore encore son fondement. Avec l'absence achevée de la publicité comme spectacle de la publicité, l'absence de la publicité rejoint le concept de la publicité. L'indifférence absolue à tout contenu particulier de l'échange manifeste en toute clarté que le fondement de l'échange est autre chose que l'échange et que ce fondement est encore extérieur à l'échange.

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Tant que l'on persistera à voir dans le sauvage archaïque un enfant de la nature insouciant et paresseux, qui évite dans toute la mesure du possible de s'employer à une tâche et de se donner du mal, qui attend que lui tombent mûrs dans la bouche les fruits qu'une nature tropicale féconde lui dispense avec générosité, on s'abusera, et on restera incapable de saisir les motifs qui l'inspirent et les buts qu'il poursuit quand il se lance dans une expédition Kula, ou dans toute autre entreprise. Bien au contraire, la vérité est que le sauvage archaïque peut travailler, et en certaines occasions travailler effectivement très dur et de façon systématique, avec endurance et volonté, et qu'il n'attend pas pour le faire d'y être contraint par des besoins urgents. Il suffit de lire quelques pages de Malinowski pour saisir immédiatement la grandeur de ces Papous qui se livrent explicitement à la pratique de l'humanité au péril de leur vie, et pour comprendre que le seul mobile de leur travail est - apodicticité du bonheur - le pur plaisir de la suppression du travail, la pratique de l'échange et de la publicité. On ne peut qu'être saisi de respect pour la science de ces sauvages qui connaissent que le travail devient humain quand il est supprimé, que le travail humain est le travail supprimé et que la publicité est le seul travail digne de l'homme. En opposition à la profonde misère du riche moderne, on admire la grandeur du riche chef papou qui dépense en publicité toutes ses ressources.

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Les vues courantes sur l'homme économique primitif dépeignent ce dernier comme un être indolent, individualiste, insouciant, mais en même temps logique et conséquent dans ses conduites, guidé d'une manière exclusive par des mobiles strictement réformistes et utilitaires. Un autre sophisme inhérent à cette conception est que le sauvage ne saurait concevoir que des formes de travail très simples, sans méthode et organisation. Une autre erreur, plus ou moins explicitement formulée dans tous les écrits de ce temps sur l'économie primitive, consiste à croire que les primitifs ne disposent que de formes rudimentaires de commerce et d'échange, que ces formes ne jouent pas un rôle essentiel dans l'existence de la tribu, qu'elles n'interviennent que par à-coups, de loin en loin, lorsque nécessité fait loi, et que l'échange disparaît aussi soudainement qu'il est apparu. Qu'il s'agisse de l'illusion très répandue d'un Âge d'Or primitif, caractérisé surtout par l'absence de toute distinction entre le tien et le mien ; ou alors de l'idée plus spécieuse qui suppose l'existence de stades où l'homme cherchait tout seul sa nourriture et où les familles pourvoyaient isolément à leurs besoins, ou que nous considérions les nombreuses théories qui ne voient rien d'autre dans l'économie primitive qu'une simple recherche de moyens de subsistance, tout ceci est ruiné par l'ethnographie qui prouve à l'envi que toute vie tribale repose sur un système continu d'échanges de choses matérielles, et par l'archéologie moderne, qui, s'inspirant toujours davantage de l'ethnographie, montre comment le commerce, passant du simple échange des biens à une organisation nettement plus complexe, a été un important agent de transformation sociale, et comment il a ouvert la voie aux économies centralisées de Cnossos ou de Mycènes, berceaux de la publicité moderne.

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Ces conceptions fausses procèdent de deux erreurs fondamentales. La première consiste à croire que le primitif envisage les biens matériels dans un esprit purement réformiste et que dans ces conditions il n'y a pas place pour la notion de richesse. La seconde revient à dire avec Engels et Marx qu'il n'est nul besoin d'échange lorsque tout un chacun peut, par son travail et son habileté, produire tout ce qui constitue la subsistance de l'homme. C'est méconnaître que le besoin d'échange n'a pas sa raison d'être en lui-même, ou dans le travail, mais dans la publicité.

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L'idée que l'homme du néolithique contemporain peut vivre au stade de la recherche individuelle de la nourriture ou à celui de l'approvisionnement familial isolé revient à supposer qu'on a affaire à un être réformiste, asocial et froidement calculateur, et aussi que l'homme est seulement capable d'une jouissance circonscrite aux choses elles-mêmes. Pareille conception ignore ce sentiment profond de la publicité qui pousse les hommes à faire étalage de ce qu'ils possèdent, à partager, à donner. En dehors de toute considération sur le point de savoir si les échanges sont nécessaires ou même utiles, échanger pour le plaisir d'échanger constitue l'une des caractéristiques essentielles révélée par l'ethnographie et dont la nature universelle et fondamentale permet d'alléguer qu'il s'agit d'un trait commun à toutes les sociétés archaïques.

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Un dernier sophisme selon lequel le sauvage archaïque conserverait par-devers lui tout ce dont il a besoin et ne s'en démunirait jamais de son plein gré au profit d'autrui, tel le sauvage moderne, doit être rejeté sans réserve. Ce qui ne veut pas dire pour autant que les sauvages archaïques ne soient pas fortement enclins à garder ce qu'ils possèdent. S'imaginer qu'ils se distinguent en cela des autres hommes serait tomber dans l'erreur opposée et qui consiste à croire en une sorte de communisme primitif, idée chère à Marx mais aujourd'hui périmée. Bien au contraire, c'est justement parce qu'ils attachent tant d'importance au fait de donner, que la distinction entre le tien et le mien s'en trouve renforcée plutôt qu'effacée. L'opinion que l'humanité archaïque ne connaissait pas la propriété individuelle est un vieux préjugé, partagé par de nombreux auteurs modernes, qui sert spécialement à étayer les théories communistes et les conceptions dites matérialistes de l'histoire. Cette conception est que dans maintes communautés primitives, la recherche effective de la nourriture, ainsi que les activités qui en découlent directement, occupent de loin la plus grande partie de l'énergie et du temps de la population, ne laissant que peu l'occasion de satisfaire tout autre besoin moins impérieux, alors que dans une société primitive, tout est matière à publicité, tout est bon comme prétexte à publicité. Cette conception constitue manifestement le postulat de toutes les théories naïvement évolutionnistes qui tendent à reconstituer les phases successives d'un développement économique conçu sur le mode réformiste, et qui ne sont que le pendant scientifique du réformisme qui a, comme chacun sait, une horreur profonde de la violence du négatif.

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La théorie1 doit être défendue, c'est-à-dire critiquée. Les mauvaises critiques de la pensée de Hegel, de Marx ou de Debord font autant de tort à l'Esprit les unes que les autres. Une bonne appréciation de ces ouvrages est préférable à ces ouvrages eux-mêmes. Il faut que la critique attaque la forme, jamais le fond de ces idées. Arrangez-vous. Sous prétexte que la conception hégélienne de l'histoire suppose un esprit abstrait ou absolu qui se développe de telle façon que l'humanité n'est qu'une masse qui en est imprégnée plus ou moins consciemment, ce qui voudrait bien se faire passer pour le matérialisme a fait de la masse humaine une matière absolue ou abstraite, privée d'esprit, qui se développe pourtant à la manière de l'Esprit hégélien. L'histoire de l'humanité devient l'histoire de la matière abstraite de l'humanité, étrangère par conséquent à l'homme réel. C'est la version cybernétique de l'histoire, telle qu'on l'imagine à Moscou, à Pékin ou à Rand Corporation. Ce matérialisme n'a pas mis la dialectique hégélienne sur ses pieds ; mais sur son cul. Désormais voici cette dialectique casquée et bottée, prête à toute éventualité. L'élément essentiel du concret, c'est l'abstraction en tant qu'elle est elle-même une production concrète. L'Esprit est de ce monde, car l'abstraction n'est pas seulement le concret pensé, mais le moment essentiel du concret. C'est même avec le triomphe de l'abstraction dans la société du spectacle que coïncide la défaillance totale de la pensée du concret2. Jusqu'à présent, c'est le monde qui a pensé pour nous.

1. Théorie : du bas latin théoria, mot grec, proprement : " action d'observer " (Dauzat/Larousse).

2. La totale faillite du paraître dans soi spectaculaire de la totalité me donne un double motif de contentement : ce monde ne me survivra pas. Ou bien il changera comme je l'entends. Ou bien il disparaîtra sous la merde avec ses légions d'esclaves écologistes et leurs clameurs d'indignation servile, ses hordes d'étudiants respectueux, frétillants de soumission, ses cohortes de syndicalistes qui protestent de leur détermination à produire quoi qu'il en coûte, toujours plus de cravates, toujours plus d'aliments pour chiens et chats, toujours plus de Citroën, jusqu'à ce que mort s'en suive. Tout ce qui réforme périra englouti par l'élément qui lui est propre.

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L'histoire de la publicité est l'histoire de la généralisation de l'échange. Il faut rendre général l'échange, ce rapport qui supprime l'indépendance du travail. L'échange est l'élément adéquat de la publicité, mais immédiatement l'échange a son fondement hors de lui-même, dans une totalité, et il demeure quelque chose d'inessentiel face à quelque chose d'essentiel. L'échange est la publicité elle-même, mais la publicité dans une certaine détermination de façon à n'être que son moment. Les déterminations qui distinguent l'échange de la publicité sont les déterminations de la publicité elle-même. Immédiatement, l'échange est le contraire de la publicité et l'individu est le contraire du genre. Les hommes produisent leur publicité comme quelque chose d'étranger et d'extérieur à eux-mêmes et l'histoire de la publicité est l'histoire de son absence, une Odyssée.

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Les hommes doivent nécessairement produire leurs relations avant de pouvoir les supprimer. La publicité doit nécessairement apparaître. Son phénomène1 est la suppression d'elle-même en direction de l'immédiateté de l'échange qui, toutefois, n'a plus l'immédiateté du travail bestial mais a la publicité pour fondement. Posé comme n'étant rien en lui-même et pour lui-même, mais comme fondé en autre chose, l'échange est d'abord manifestation d'une totalité des échanges. L'échange est immédiatement régi par autre chose que lui-même, il connaît une loi. La suppression générale du travail est la loi de ce phénomène. L'échange est immédiatement le phénomène de la publicité, ce dont le fondement fait défaut.

1. Ce serait une sorte de pléonasme que de parler d'une phénoménologie de l'absence de l'Esprit, puisque l'absence de l'Esprit est précisément son phénomène, sa production comme phénomène. L'histoire de l'Esprit -l'histoire tout court - est bien une phénoménologie de l'Esprit comme le voulait Hegel. Ce mouvement dialectique que la publicité exerce en elle-même, en tant que devant elle le nouvel objet vrai en jaillit, c'est-à-dire elle-même comme objet, est proprement ce qu'on nomme expérience. L'humanité est d'abord l'expérience de la publicité. L'absence de la publicité est cette expérience. Heureux qui comme Ulysse a fait un long voyage.

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Comme absence, la publicité consiste dans son phénomène, et son phénomène est manifestation de sa consistance. Elle est identiquement consistance et suppression de cette consistance. Comme absence, la publicité est une cause purement phénoménale, mais c'est à ce titre qu'elle agit. Considérons l'argent qui est actuellement le seul moyen de publicité, il a la qualité de tout acheter et c'est de ce fait la chose la plus désirable du monde. La célébrité de sa qualité fait la toute-puissance de son essence tandis que sa qualité ne consiste que dans cette célébrité. La célébrité est manifestation d'une totalité, ce double mouvement de consistance et de suppression de la consistance. La célébrité est la publicité comme absence, l'unité négative de l'existence et de l'inexistence de la publicité.

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Dans la célébrité, le rapport d'échange est donné antérieurement aux choses échangées et indépendamment d'elles. La célébrité est l'échange effectué en apparence indépendamment de tout échange particulier et de tout travail particulier. La célébrité est l'indépendance de l'apparence, l'apparence qui se meut d'elle-même. La célébrité est la forme même de la séparation sociale, de la société comme séparation. Partout où il y a opposition des individus et de leur totalité, cette opposition prend la forme de la célébrité. La célébrité est le rapport social qui est absence de rapport social, qui tombe et qui ne tombe pas sous le sens. La célébrité est le contraire de la publicité, la publicité de quelqu'un ou de quelque chose face à l'obscurité de tous, et, à la limite, dans le spectacle moderne, la célébrité de tous face à l'obscurité de chacun. Qu'il s'agisse de la célébrité d'une personne ou de la célébrité d'une chose, et à la limite de la célébrité de tout ce qui existe, ce qui est général - la totalité de l'apparence - se manifeste dans quelque chose de particulier et s'y maintient. Comme science particulière, la science de la publicité est la critique de la célébrité.

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Hic Rhodus. Nous voici à pied d'ouvre. Il faut que nous disions tout sur cette force qui tombe et qui ne tombe pas sous le sens, qui veut sans vouloir, qui agit sans agir, qui est la totalité des naissances et des morts et qui elle-même jamais ne naît ni ne meurt, sur cette force qui est à proprement parler l'absence de la publicité comme activité, la dialectique de l'antidialectique et qui est cependant, à cette détermination de l'absence près, la même chose que la publicité, la même chose que la dialectique. La théorie de la publicité devra se borner à des éléments initiaux et à des concepts fondamentaux dont elle devra s'efforcer de réduire le nombre. Face à l'inlassable redondance de la célébrité achevée, la critique doit être brève et tendre vers l'unité et la simplicité du divers supprimé. Enfin la théorie de la publicité sera une encyclopédie dans la mesure où la séparation et la connexion de ses parties seront exposées suivant la nécessité de l'histoire. La division ici indiquée d'une Encyclopédie des apparences, comme toute la discussion précédente sur la célébrité, est à considérer comme une simple anticipation, et sa justification ou sa preuve ne peut se dégager que de l'examen conduit à son terme de la réalité elle-même ; car prouver signifie, pour la théorie qui a l'histoire pour objet, la même chose que montrer comment cet objet se fait par lui-même ce qu'il est. La preuve elle-même est un moment déterminant de cet objet. Ainsi pensé-je. Prochainement j'en dirai plus. La grandeur de son objet servira d'excuse à l'imperfection de ce travail.