Introduction à la Science de la Publicité
Part.I - art. 21 à 40
par Jean-Pierre Voyer
21
L'échange
est la manifestation de l'apparence, l'apparence manifeste et manifestée.
C'est la reconnaissance de ce qui n'existe pas par ce qui n'existe pas,
la reconnaissance pratique, la reconnaissance hégélienne purgée de toute
trace d'idéalisme. La manifestation immédiate de son activité vitale distingue
directement l'homme de l'animal. Le travail devient humain, quand et parce
qu'il est humain pour un autre travail, c'est-à-dire qu'il n'est humain
qu'en tant que travail reconnu, qu'en tant que travail supprimé. Dans
l'échange, l'activité vitale de l'homme n'est pas une détermination avec
laquelle il se confond immédiatement. L'échange est l'essence manifeste
de l'homme, c'est-à-dire non seulement l'essence, mais l'essence qui doit
nécessairement apparaître.
22
L'échange
est la disparition de l'identité dans la différence et de la différence
dans l'identité ; il est la disparition de l'identité et de la différence
en général mais il repose en même temps sur la distinction entre l'un
et l'autre. Il est donc en contradiction avec lui-même, parce qu'il réunit
des contraires ; mais une pareille union se détruit elle-même. L'échange
n'a pas l'indépendance du travail ou de la chose. Il ne consiste pas en
lui-même et pour lui-même. Son fondement lui est nécessairement extérieur,
et immédiatement, l'échange demeure quelque chose d'inessentiel face à
quelque chose d'essentiel. Qu'est-ce donc qui constitue dans l'homme le
genre, l'humanité proprement dite ? L'échange a pour fondement la publicité,
c'est-à-dire l'échange de tous avec tous. La proposition de la publicité
s'énonce : " Tout échange a pour raison d'être suffisante la publicité.
" L'échange consiste dans la publicité. Ce qui distingue véritablement
l'homme de l'animal n'est pas seulement l'échange, mais l'échange généralisé.
La définition véritablement première de l'humanité est par conséquent
qu'elle est la publicité et l'histoire doit être l'histoire de la publicité.
23
C'est
seulement de nos jours qu'on s'est rendu compte combien il était difficile
d'assigner à l'humanité un commencement ; et la cause de cette difficulté,
ainsi que la possibilité de la résoudre ont fait l'objet de nombreuses
discussions. L'humanité commence avec la publicité. À ce
que nous venons de dire concernant cette chose la plus simple de toutes,
à savoir le commencement de l'humanité, nous pouvons encore ajouter les
réflexions suivantes, qui ne sont d'ailleurs pas destinées à éclaircir
ou à confirmer notre exposé, lequel se suffit à lui-même. Ce sont des
représentations et des réflexions que nous pouvons rencontrer sur notre
chemin, mais qui, comme tous les préjugés auxquels nous avons eu affaire,
se dissipent au sein de la science même, de sorte qu'il n'y a qu'à s'armer
de patience à leur égard et à les supporter avec calme. L'opinion selon
laquelle l'absolument vrai doit être un résultat et, inversement, un résultat
avoir, de son côté, pour prémisse une vérité première et antécédente,
mais qui, en tant que première, n'est pas une vérité nécessaire objectivement
est l'opinion du réformisme, du positivisme, de la théorie idéaliste
de la matière. Notre opinion est, bien au contraire, que la progression
est une régression vers le fondement, vers l'originel et le vrai, vers
ce dont dépend ce qui a servi de commencement. C'est ainsi que l'apparence,
partant de l'immédiateté par laquelle elle commence, se trouve ramenée
à la publicité comme à sa vérité la plus intime. C'est du fondement que
surgit le commencement qui se présente comme l'immédiat. C'est ainsi que
la publicité, qui se révèle comme la vérité concrète, comme la dernière
et la plus haute vérité, se présentera dans toute sa liberté au terme
du développement sous la forme de quelque chose d'immédiat, et procédera
à la création d'un monde qui contiendra tout ce qui était impliqué dans
le développement qui a précédé ce résultat et qui, du fait de ce renversement
des rapports avec son commencement fait apparaître celui-ci dépendant
du résultat, comme si ce dernier était son principe. En tant que commencement,
la publicité dépend d'elle-même comme résultat. Cela s'énonce en disant
: " On a le commencement qu'on mérite. " L'antinomie du commencement de
l'univers sera levée le jour où notre puissante race produira ce commencement.
La question de la vérité de la pensée humaine (de la pensée tout court)
n'est pas une question théorique, mais une question pratique aussi
lorsqu'il s'agit du commencement. La publicité est le commencement
qui ne tolère pas que l'on commence avant lui, c'est un commencement qui
n'en finit pas de commencer, c'est le commencement infini, la nouveauté
éternelle.
24
La
publicité est le rapport de tout le travail à tout le travail. C'est la
totalité du travail qui existe, le travail qui existe comme totalité,
c'est-à-dire le contraire du travail, le travail totalement supprimé.
La publicité est l'apparence de tout le travail dans tout le travail,
c'est-à-dire l'apparence de tout le travail dans lui-même. C'est le travail
qui se supprime comme une totalité de l'apparence. La publicité contient
le négatif comme apparence, mais comme absolu, comme rapport de tout le
négatif à tout le négatif. La publicité n'est rien d'autre que les conditions
matérielles de l'échange et ces conditions sont les conditions du négatif.
25
La
publicité est tout qui existe enfin. Tout élément étranger est
supprimé dans la totalité et celle-ci existe auprès d'elle-même et en
elle-même. Le mode d'existence nécessaire de la totalité est qu'elle paraisse
en elle-même et le concept de la totalité, tel qu'il implique son existence,
est : " Tout paraît dans tout. " Alors ce qui n'était qu'une mince plaisanterie
réformiste se révèle comme le concept adéquat de la publicité, qui est,
elle, plaisanterie absolue: " Tout est dans tout et réciproquement. "
La publicité est l'identité absolue, absolument différenciée, ce dont
le concept implique l'existence puisqu'il est le concept qui se conçoit
lui-même. La publicité est la totalité qui a atteint la parfaite égalité
avec elle-même, la totalité qui est son propre contenu et se conçoit elle-même.
Dans la publicité, la conscience est identiquement le nouveau mode de
production et le nouvel objet de la production et l'humanité découvre
alors qu'elle a toujours possédé le rêve de quelque chose dont il suffisait
de posséder la conscience pour le posséder réellement.
26
La
publicité est la réflexion d'elle-même en elle-même. La publicité contient
l'apparence en tant que mouvement infini d'elle-même à l'intérieur d'elle-même.
La négation qui forme le fond de la publicité n'est pas autre chose
que la rencontre positive de la cause avec elle-même, c'est-à-dire de
l'apparence avec elle-même. L'apparence est le fondement, la raison d'être
de la publicité. La publicité est la passion de l'apparence pour elle-même.
27
Le
genre de l'homme n'est autre que la publicité. Les hommes, en affirmant
leur être, créent et produisent la publicité comme leur genre,
lequel n'est pas une puissance abstraitement universelle, opposée aux
individus particuliers, mais leur propre être, leur propre activité, leur
propre vie, leur propre esprit, leur propre richesse. L'échange en tant
qu'activité générique et en tant qu'esprit générique n'acquiert une existence
réelle et vraie que par la publicité. La publicité est la vérité de l'échange,
la vérité de ce comme quoi l'identité et la différence se sont produites.
La publicité est la force absolue, unique, suprême, infinie, à laquelle
aucun objet ne saurait résister ; c'est la tendance de l'humanité à se
produire elle-même en toute chose ; c'est l'unité de la méthode et du
système.
28
La
publicité est l'essence humaine posée comme totalité, comme genre, comme
substance. C'est un être de la réflexion, un être négatif, tout n'y est
produit qu'en tant qu'il est supprimé. Elle est essentiellement le processus
d'elle-même en elle-même et ses parties ne sont qu'en tant qu'elles passent
en autre chose. Dans la publicité, l'indépendance encore attachée au rapport
de l'échange disparaît. La publicité est l'échange de tous avec tous.
Dans cette différence tout à fait universelle, l'échange lui-même disparaît
et c'est la substance ou le réel qui vient occuper le premier rang, en
tant qu'unité absolue de l'individu et du genre, de l'indépendance réfléchie
et de l'indépendance immédiate. La nouvelle indépendance qui se dégage
alors sur les ruines de celles qui ont précédé est, dans la publicité
absolue, l'indépendance de l'individu qui est identiquement indépendance
de son genre. L'individu devient la médiation absolue de ce but absolu
en quoi consiste la publicité, car, dans la publicité, dépendance et indépendance
sont confondues dans une pure apparence.
29
Ainsi,
pour nous est déjà présent le concept de l'Esprit ou de la publicité.
La théorie n'est pas encore la publicité, mais son concept subjectif.
La théorie est la conscience de soi de l'homme. Ce qui viendra plus tard
pour l'humanité, c'est l'expérience de ce qu'est la publicité, cette substance
sociale, qui, dans la parfaite liberté et indépendance des individus,
constitue leur unité. Le concept de publicité est l'un des plus difficiles
parce qu'il est précisément celui de l'humanité qui existe, le concept
de l'histoire. Le concept le plus important et le plus vrai de l'époque
est précisément mesuré par l'organisation sur lui de la plus grande confusion
et des pires contresens. Ce concept vital connaît à la fois les emplois
les plus vrais et les plus mensongers, parce que la lutte de la réalité
critique et du spectacle apologétique conduit à une lutte sur les mots.
Ce n'est pas la purge autoritaire, c'est la cohérence de son emploi, dans
la théorie et dans la vie pratique, qui révèle la vérité de ce concept.
30
Le
concept de publicité comporte l'avantage, face aux concepts de communauté,
de société, de genre, de totalité, de manifester que la totalité des individus
contient le négatif comme une totalité de l'apparence et que c'est en
cela qu'elle est à proprement parler une totalité et non seulement une
totalité pour un autre. Le concept de publicité est un terme actif. La
publicité est l'activité de l'apparence. La publicité est l'unité de l'ensemble
de l'apparence et de l'apparence de l'ensemble. C'est l'ensemble paradoxal
qui se contient lui-même comme apparence.
31
Le
concept de publicité est le point de vue supérieur qui comprend les deux
moments précédents. Pour lui la réalité, la vérité, contient le négatif
comme apparence ; le réel est l'unité de ce qui existe et de l'apparence
de ce qui existe, l'unité du travail et de la suppression du travail,
l'unité du travail et de l'échange. Pour lui, tout ce qui est réel est
vrai ; mais seul ce qui est vrai est réel. La science de la publicité
réhabilite l'apparence, car elle en fait le moment essentiel de la réalité,
le moment par lequel la réalité devient réelle, le moment du négatif.
Certes, la réalité a toujours existé, mais pas toujours comme réalité.
Les réformistes et les staliniens n'ont que trop transformé le monde pour
notre goût. Il s'agit désormais de le transformer en l'interprétant et
de l'interpréter en le transformant. Nous userons, au mépris de toutes
les prohibitions, de l'arme vengeresse de l'idée contre toute la
bêtise du matérialisme borné, contre toute la suffisance de l'idéalisme
de la matière.
32
La
conscience qui séjourne dans la sphère du réformisme et n'a que des pensées
qui sont encore entrelacées avec de la soumission est habituée à partir
des choses existantes, et, lorsqu'elle s'élève à la pensée de leur publicité,
à prendre le rapport de la publicité et de ce qui est seulement représenté,
comme si le spectacle était le réel, mais la publicité seulement une abstraction
subjective qui tiendrait son contenu du spectacle. Ensuite, la publicité,
comme publicité qui n'a aucun contenu déterminé et n'a pas un spectacle
pour point de départ et point d'appui, est prise pour une entité logique
simplement formelle. Or, ici, il ne peut être question de tels rapports:
la chose existante et toutes ses déterminations ultérieures se sont démontrées
comme non vraies et sont retournées dans la publicité comme dans leur
ultime fondement. La publicité est par là démontrée comme ce qui est en
et pour-soi vrai et réel ; et tout contenu qu'elle a en plus ne peut lui
être donné que par elle-même.
33
C'est
pour le réformisme un travail aisé que de présenter tout ce qui est dit
de la publicité comme contradictoire en soi-même. Ce qui, toutefois, peut
lui être aussi bien retourné, ou bien plutôt s'est déjà opéré dans l'histoire
: un chien se gratte où ça le démange, un réformiste se gratte ailleurs.
Si donc le réformisme montre que, à ce qu'il prétend, la publicité se
contredit elle-même parce que, par exemple, le subjectif est seulement
subjectif et l'objectif est bien plutôt opposé à lui, que l'être est quelque
chose de tout autre que l'esprit et donc ne saurait être conçu comme lui,
que de même le fini est seulement fini, et directement le contraire de
l'infini, donc ne lui est pas identique, et ainsi de suite en passant
par toutes les déterminations, la théorie montre bien plutôt l'opposé,
à savoir que le subjectif qui serait seulement subjectif, le fini qui
serait seulement fini, l'infini qui serait seulement infini, et ainsi
de suite, n'ont aucune vérité, se contredisent et passent dans
leur contraire, ce par quoi, ce passage et l'unité dans laquelle les extrêmes
se trouvent à titre d'extrêmes supprimés, à titre d'apparence, c'est-à-dire
comme des moments, se révèlent comme étant leur vérité. Le réformisme
qui s'applique à l'homme est l'acte d'entendre de travers doublement,
en ce sens que, premièrement, les extrêmes de l'homme, qu'on les exprime
comme on veut, en tant qu'ils sont dans leur unité, il les prend encore
selon un sens tel qu'ils ne seraient pas dans leur unité concrète, mais
seraient des abstractions en dehors d'elle ; il perd de vue par exemple,
déjà la nature de ce qui unit dans la séparation, ce qui fait que l'individu
est tout autant non pas un individu mais le genre, le général. D'autre
part, le réformisme tient la réflexion selon laquelle l'homme identique
à lui-même contient le négatif de lui-même, la contradiction, pour une
réflexion extérieure, qui ne tomberait pas dans l'homme lui-même. En réalité
cependant, ce n'est pas là une sagesse propre au réformisme, mais, parce
que l'homme est cette négativité, il est en lui-même la dialectique qui
éternellement sépare l'identique à soi du différent, le subjectif de l'objectif,
le fini de l'infini, et n'est que dans cette mesure éternelle création,
éternelle vitalité et éternel esprit. Tandis que l'homme est ainsi lui-même
le fait de passer dans le réformisme abstrait, il est aussi bien éternellement
publicité en tant que la dialectique qui fait entendre à nouveau, à cet
être aliéné qui relève du réformisme, sa nature et l'apparence fausse
de la subsistance-par-soi de ses productions, et qui le ramène dans l'unité.
L'homme est l'éternelle intuition de lui-même dans l'Autre ; le concept
qui a réalisé dans son objectivité lui-même, l'objet qui est finalité
interne, qui est subjectivité essentielle. Les manières diverses d'appréhender
l'homme comme unité de l'idéel et du réel, du fini et de l'infini, de
l'identité et de la différence, et ainsi de suite sont plus ou moins formelles,
en tant qu'elles désignent un degré quelconque de l'individu déterminé.
Dans la publicité, seul l'individu lui-même est libre et ce qui est véritablement
universel. Dans la publicité, seul l'individu est l'être social car la
publicité est pure négativité. La publicité est le jugement infini qui
est aussi absolument identique que ses côtés : individu et genre dont
chacun est la totalité subsistante par soi, et justement du fait que chacun
s'achève en elle, il est passé dans l'autre côté. Aucun des individus
autrement déterminés n'est cette totalité achevée dans ses deux côtés,
en dehors de l'individu lui-même et de la publicité.
34
La
production de l'humanité est la plus concrète de toutes les productions,
par conséquent la plus haute et la plus difficile. Produis-toi toi-même,
ce précepte absolu, ni en-soi ni dans les circonstances historiques où
il est énoncé, n'a la simple signification d'une production de soi d'après
les aptitudes, le caractère, les inclinations et les faiblesses particulières
de l'individu, mais il signifie la production de ce qui est véritable
dans l'homme, et aussi bien ce qui est véritable en-soi et pour-soi, l'essence
même (qui est la vérité de l'être) en tant que publicité.
35
La
publicité est l'inséparabilité de l'individu et du genre ; elle n'est
pas l'unité faisant abstraction de l'individu et du genre, mais en tant
qu'unité de l'individu et du genre, elle est cette unité définie, ou l'unité
dans laquelle l'individu et le genre sont, alors que l'individu et le
genre, en tant que séparés l'un de l'autre, ne sont pas. Ils se trouvent
donc dans cette unité, mais en voie de disparition, en tant que seulement
suspendus. De leur indépendance présumée, ils descendent au rang de moments,
encore distincts, mais en même temps supprimés. Dans la publicité absolue
l'individu et le genre sont la même chose. Ce qui est vrai, ce n'est ni
l'individu ni le genre, mais le passage et le passage déjà effectué (la
préhistoire terminée, qui est histoire de ce passage dans l'effectivité)
de l'individu dans le genre et de celui-ci dans celui-là. Mais il est
tout aussi vrai que loin d'être indistincts, loin d'être la même chose,
l'individu et le genre diffèrent absolument l'un de l'autre, tout en étant
inséparés et inséparables, chacun apparaissant directement dans son contraire.
Leur vérité consiste donc dans ce mouvement d'apparence directe de
l'un dans l'autre : dans la publicité ; mouvement qui, en même temps qu'il
fait ressortir leur différence, la réduit et la supprime.
36
Que
le résultat, d'après lequel le genre et l'individu sont la même chose,
soit fait pour surprendre certains ou leur paraître paradoxal, peu importe
; ce qu'il y aurait plutôt lieu de trouver étonnant, c'est l'étonnement
qui se manifeste depuis quelque temps en publicité et qui vient de ce
qu'on oublie que cette science comporte des déterminations tout à fait
différentes de celles de la conscience ordinaire et de ce qu'on appelle
l'entendement réformiste commun, qui n'est justement pas l'entendement
prolétarien, mais l'entendement dressé en vue d'abstractions ou de la
croyance, nous dirons même de la croyance superstitieuse aux abstractions.
On pense que le genre est plutôt tout autre chose que l'individu, que
rien n'est plus évident que leur différence absolue et que rien n'est
plus facile que de relever et de reconnaître cette différence. Mais rien
aussi n'est plus facile que de constater que c'est impossible, que cette
différence est inexprimable. Ceux qui insistent sur la différence entre
le genre et l'individu feraient bien de nous dire en quoi elle consiste.
Exiger l'indication précise de la différence entre le genre et l'individu,
c'est exiger en même temps la définition de l'un et de l'autre. Ceux qui
se refusent à reconnaître que le genre et l'individu sont destinés à passer
l'un dans l'autre et affirment telles ou telles choses de l'un et l'autre,
devraient nous dire exactement de quoi ils parlent ; autrement dit, ils
devraient non seulement donner une définition du genre et de l'individu,
mais encore démontrer que cette définition est juste. Tant qu'ils n'ont
pas satisfait à cette première exigence de la vieille science dont ils
mettent cependant en valeur et appliquent les règles logiques, toutes
ces affirmations relatives au genre et à l'individu ne restent que des
affirmations, sans valeur scientifique. La différence ne porte donc pas
sur ce qu'ils sont en eux-mêmes : c'est une différence pensée, autrement
dit une donnée purement subjective qui n'entre pas en ligne de compte
ici. Il s'agit donc de quelque chose qui embrasse à la fois le genre et
l'individu et qui fait bien partie de cette série, et cela existe sous
la forme de la publicité. C'est dans la publicité qu'existe la distinction
entre le genre et l'individu, et la publicité n'est possible qu'en raison
même de cette distinction. Mais la publicité, à son tour, ne se confond
ni avec le genre ni avec l'individu. Elle existe en eux, ce qui revient
à dire qu'elle n'existe pas pour elle-même. Cependant, la publicité comprend
aussi bien le genre que l'individu ; ils n'existent que pour autant qu'ils
sont dans l'unité de la publicité et c'est cela qui efface leur différence.
On passe du genre aux individus et des individus au genre, et dans l'un
des termes on oublie l'opposition de l'autre, en tant que chaque côté
pour lui-même est pris pour une existence subsistante par-soi. Ou bien
en tant que les individus doivent avoir leur consistance dans le genre,
et celui-ci la tirer de ceux-là, c'est une fois l'un, l'autre fois l'autre
qui est le terme consistant. Il faut surtout éviter de fixer la " société
" comme une abstraction face à l'individu : l'individu est l'être social.
Inversement, bien que le genre ne puisse consister que dans les individus,
il ne peut se définir comme leur inerte multiplicité, comme l'inerte coexistence
de processus identiques et liés par de simples rapports d'extériorité,
c'est-à-dire par une absence de rapport, par des rapports pour un autre.
Il ne serait alors un genre que pour un autre, tel le genre de l'éléphant
pour le savant Cuvier ou le hardi chasseur. L'individu est la forme absolue.
Le genre est la substance concrète. La publicité est l'unité effective
de la forme absolue et de la substance concrète.
37
La
publicité est le syllogisme de l'humanité, la présence parfaite de l'humanité
dans chacun de ses moments, individu, genre, rapport du genre et de l'individu.
Le genre est la totalité des individus. Le genre consiste dans les individus,
le contraire de lui-même. Les individus sont ce qui subsiste par-soi ;
mais ils ne sont des individus que dans leur relation identique les uns
aux autres, et pour autant que pris ensemble ils constituent le genre.
L'individu contient le genre, qui forme sa substance ; le genre demeure
inchangé dans les individus ; les individus diffèrent, non du genre, mais
les uns des autres. L'individu a avec les autres individus, avec lesquels
il présente des rapports, un seul et même genre. En même temps, étant
donné l'identité qui existe entre les individus et le genre, la différence
qui les sépare est, comme telle, générale ; elle est totalité. L'individu
ne contient pas seulement le genre, il le représente comme généralité.
Le genre constitue ainsi une sphère que l'individu doit épuiser. L'individu
est l'homme total, l'homme dont les besoins s'étendent à tout ce qui existe.
Le genre est la substance concrète de l'individu et l'individu est la
puissance substantielle du genre qui existe pour elle-même comme personne.
Dans la publicité, l'individu est ce qui est libre : 1) en tant qu'il
est la pure négativité de la réflexion du genre en lui-même ; 2) en tant
qu'il est la totalité de cette négativité en et pour elle-même déterminée.
38
La
publicité est le vrai en et pour-soi, l'unité absolue de l'individu et
de l'objectivité. La définition de l'humanité selon laquelle elle est
la publicité est maintenant elle-même publique. Toutes les définitions
précédentes font retour en celle-ci. Tout individu effectif, pour autant
qu'il est individu véritable, n'a sa vérité que par la publicité et en
vertu d'elle. L'individu singulier est un côté quelconque de la publicité,
c'est pourquoi, pour lui, il est besoin encore d'autres individualités
qui apparaissent pareillement comme subsistant pour elle-même en particulier
; c'est seulement en elles toutes ensemble et dans leur relation que l'individu
est réalisé. L'individu pour lui-même ne correspond pas à son concept
; ce caractère borné de son être séparé constitue sa finité et sa perte.
39
La
publicité est la science absolue, la réalisation du Beau et du Bien, le
réel étant en-soi et pour-soi : en-soi, comme identité simple du
possible et du réel, comme essence absolue, contenant tout le possible
et tout le réel ; pour-soi, en tant que puissance absolue ou simplement
en tant que négativité se rapportant à soi. Voici en quoi consiste le
mouvement de la publicité, posé par ses moments. Comme élément adéquat
de l'humanité, la publicité est davantage l'essence réelle, c'est-à-dire
ce qui existe, uni à l'apparence de ce qui existe.
40
La
publicité est la chose du monde la plus belle, plus belle encore qu'un
million de dollars, car elle est ce qu'il y a de beau dans un million
de dollars. La publicité est une révélation plus haute que l'art et la
philosophie car elle est ce que révèlent l'art et la philosophie. La publicité
est la victoire sur les chimères, la nouveauté éternelle, la règle dont
gémit le chaos, le sujet de la conciliation, l'échange maîtrisé, la situation
construite. Elle juge de toute chose. Elle est amas de certitude, la gloire
de l'univers. La publicité est un fleuve majestueux et fertile. La théorie
est la tempête, le Hegelsturm. La théorie doit avoir pour but la publicité.