Personne n'est quitte à Terre
par Didier Somvongs
Dans
cette histoire, encore en ce bas monde, hélas !, le gagne-pain
des escogriffes qui participaient à la santé, fanait au
balancier d’une pendule.
Vingt-quatre coups
très exacts ont voulu la peau dont les moutons sentaient la démangeaison,
Vingt-quatre très
exacts vols de médecins,
Ci-dessus docteurs
criminels incessants,
Leur plaisir paraissant
avec ce frisson, cette idée qu’ils pouvaient brouter le
sang de trois hommes,
Très exactement,
En l’espace
de quelques heures,
Vider têtes
et poitrines sur la table d’examen,
Et, suspendus au bord
brodé d’un linceul blanc, patiemment,
Ceux-ci eurent attendu
pour mordre une nouvelle fois.
De toutes ces morsures,
sans qu’il y paraisse, buccales, humaines et autres vermines prenant
l’air à la surface glaireuse, par surcroît vivant
à retardement une lèvre pendante dans le vestibule,
De toutes les paroles,
clopin-clopant, certaines poussées en présence de la mort
à travers yeux sans cervelle et couvées par la brume,
En l’absence
d’un miroir pour la vérité, au fond de l’abîme
jusqu’à l’étendue vivante et/ou non vivante,
De toutes les insinuations
sifflantes auxquelles tant de serpents faisaient allusion mouvant leurs
queues dans les cérébrales cellules,
À moutons rompus,
Caducité du
caducée scie,
Dominant les tempêtes
en dérobant les heurts qui se démodent à toute
heure,
Les heurts d’une
journée ,
Pour l’amour
du ciel, quel trou !, comme une empreinte sur les lits funèbres,
un moule sur l’au-delà, un spectre émané
par l’esprit,
Ne reste que cette
absurdité, celle qui consiste à laisser du néant,
sur la table, un relief.
– o –
Le premier trou sous
le toit qu’un passé mentionne sur cet événement,
dudit phénomène lorsque hommes et femmes s’étaient
abattus,
Hantés par
une neige de sang-froid,
Hantés par
le ciel qui versait à flots, lors d’une bataille, leurs
globules et leurs biles,
Lors d’un combat
de jadis,
Abreuvant les vampires
sur les rivages sanglants de jadis,
Rassasiant Dieu de
ses damnés, dames nées et messieurs-dames,
Pour que Dieu savourât,
perplexe, sa propre hospitalité en ces lieux miracles, en ces
no man’s land, où ni homme ni femme n’eurent
mieux vécu son absence que pendant la vie.
– o –
Les miracles se produisaient
dans un espace effet placenta,
Les fœtus nuisibles
éternuant les hommes de légende.
Ce fut alors les
lamentations taciturnes,
La cavalerie des lames
déferlant sur l’Atlantique.
– o –
Voir à merveille
avec Ampère l’éternel corbeau à trompette
de pied en cap breton,
Mais aussi les parapluies
ambulants de Victor Hugo et de Paul Valéry tandis que la pluie
coulait les minutes par un mince ruban noir,
Une cage d’oiseau
abritant les duvets comme dans les imperméables,
Avant le rendez-vous
que manteaux sans étiquette, capes d’astrakan, redingotes
et pèlerines concluaient avec les canadiennes.
Les gynécologues
devenaient marchand de tapis ou sculpteur psychanalyste, fiancé
perpétuel ou agent de voyage, spirite à l’ère
du Poisson ou homme d’affaires ruiné par une faim militaire,
faussaire à coucher dehors.
Victor Hugo, dans
sa Mercedès, libellait ses chèques en arabe.
Un quart d’heure
auparavant, une mystérieuse chose cachée dans un cœur
en camphrier gravé de lettres chinoises,
Fut entrouverte et
posée sur le velours cerise de cendres à mille balles.
Géante boîte
ou cage d’un tas de gourmandises,
Somptueux pudding
au canard, gigot de mer et fruits en bière à peine sortis
du frais, furent jetés dans les automobiles.
Noël, baiser
Polaroïd.
Transistor automatique
dont la langue de bois sortait hors de ses entrailles,
Sur-le-champ.
Au sommet des crânes,
la nacre attristée des huîtres fondaient en larmes,
Sur la banquette charnue
de hanches et de cuisses bavant des jupes,
Cuisses avec chignon,
boursouflées,
Derrière la
glace arrière,
Derrière le
voile givré,
Derrière la
neige cocaïne.
Les amis poussaient
ce cri inaudible qui clouait une larme sur les regards ou jetaient en
train l’œil,
Derrière la
lunette du soldat inconnu,
Derrière l’étoile
du sanhédrin,
En direction d’un
Dieu clément,
Derrière les
subconscients de chair et d’os,
Hoquetant la peur
vécue des moments clameurs cicatrices,
Vociférant
la stridence entée téléphonique,
Des clients affamés
qui demandaient de l’esprit à midi.
Pourquoi pas des
fantômes en fer dans la quarante-neuvième rue ?
La quarante-neuvième
rue n’est-elle pas cet endroit des perceptions imaginaires où
quarante-neuf tibétains à contrecœur cuisaient à
la coque le corps terrestre ?
Ils agissaient ainsi
pour nous faire leurs adieux,
Pour soulever des
paroles dont la sueur à goûter sentait le piment,
D’une âme
abusée qui s’était dressée sur ses pattes
arrière,
D’une âme
qui s’était mis à sonner dans un silence pesant,
serrant la gorge,
D’une âme
cosmique tourbillonnant dans les étoiles des heures lactées,
Gluante.
Pénible vision.
Toussoter.
Peut-être murmurer.
Peut-être réveiller
le chat qui dort.
Jusqu’alors
un escargot crachait sur les essuie-glaces et le pare-brise soudainement
bêla.
Qui suppute dans
la rue fait le trottoir et lèche les vitrines.
Nom d’une pipe
!
Allô ! Qui est
là ? De quoi s’agit-il ?
Cette fois dormait
tout le monde et sur les fenêtres la mort vidait ses viscères,
Le comble dans le
silence étant de chauffer l’air à blanc,
D’enfoncer entre
les cuisses le combiné d’un maître,
De permettre aux témoins
cet état de veille qui a effacé, comme avec un mouchoir,
la viscosité surnaturelle d’une croix qui croassait,
De fixer les regards
sur l’hallucination collective, cathodique,
Donnant aux voitures
de malheur l’illusion d’une présence,
D’expliquer
l’atmosphère en laquelle naîtraient les âmes
maudites,
De claquer les portières
avec des gants.
Nous nous ferions
volontiers arracheurs tout bêtement des haut-parleurs dans les
maisons hantées,
Et pourquoi pas
imprécateurs hurlant des sirènes, vociférant la
rage et le vacarme des heurts de mots diesel,
Foudroyant Alpha du
Centaure d’un seul regard, tous nos yeux tournés vers rien
ou en direction arrière,
Braquant l’index
sur la vertu qui s’était mise à saigner.
Que Dieu ne perde
pas le nord !
Pendant à
une autre croix, oscillait l’esprit d’un homme, sans que
sa voix même ne triomphât du jeu obscène lumière/ombre
des gyrophares activés par la police mystique.
Que Dieu ne perde
pas le nord !
– o –
Quelle force inexplicable
devant un verre de pluie ?
L’invraisemblable
fuite glissait du ciel.
S’agissait-il
d’un effet spécial ou d’un décor béant
sur les magasins ferroviaires dont on pouvait apercevoir le semis étoilé,
La lune éblouissante,
Et les cheveux drus
qu’une nymphe de dix-sept ans faisait onduler au zéphyr
?
Nous échangerons
nos yeux pour contempler en particulier la mort s’accouplant avec
l’amour,
Au théâtre
de la guerre obscène quand les eaux de la Seine prennent la mer
dans un bol de plâtre.
Nous applaudirons
les artistes, les machinistes et les projecteurs qui racontèrent
ce charabia puis, sans tarder,
Une promenade nocturne
dans un train express à destination de l’aube,
Nous mènera
en guise de conclusion, quelque part,
En caressant les faux
pas griffonnés par des chevaux de parade,
Au sommet de floraisons
sèches,
Sautant des voitures
comme le champagne,
Les minutes trop tard,
Pour jouir d’un
verre de jalousie, à l’intérieur de la berline,
instantanément.
Nous tirerons l’avenir
à travers ce sourire mélancolique,
En trempant notre
oreille droite pour avoir deux oreilles gauches,
Afin de mouiller notre
petit mois et moi, émoi de mai,
Au mois de mai, une
deuxième fois, patiemment, au mois de mai,
La belle occasion
d’arracher les griffes de jours soufferts avec du linge sale.
Nous toucherons chacun
parmi nous, dans sa passion pour lui dessiller les yeux, faisant grâce
à son ingénue sucée, à sa vérité
et à son souvenir.
– o –
Nous étions
à l’aéroport avant le décollage de l’Océan
et nous tous connaissions comme notre poche le soma qualifié
d’ancêtre, le coma indien éveillant ce chagrin indescriptible
face au monde sans espoir, sans fenêtres, sans matin suivant.
Presque tout était
à part, à l’ombre, de suie et de sel gris, brumeux,
sans nuages et sans couleur, un sel abattu sous les épieux sans
sève, un sel en cendres.
Sans espoir, qu’avons-nous
fait de nous tuer, en badinant, nous tuer et tuer l’espoir de
nous délivrer du chagrin ?
Nous jeter la bouée
au nez, les joues tétées pour les idées nouées,
leur boue, pour les héros sans rose, les genoux qu’Éros
plie et nous gêner, essorés.
Sans tarder, les
grands-pères arbres semblaient sortir tout droit de la cheminée,
leur fumée ne se dissipant guère,
Leur bois ne puisant
plus l’eau potable,
Et presque tous les
troncs, tous les fûts qui restaient, sans branches ni feuilles,
ne suintaient alors plus l’or dans nos seaux.
Nous rentrions en
ville le temps de nous chauffer, à grand-peine brûlions-nous
nos lèvres sur les livres de la forêt promise,
La forêt promise
des fillettes blondes et des bosquets d’érables,
La forêt promise
d’un drôle de monde de tables et de cabanes, de portes et
de tonneaux, de planches friandises, de haricots rouges et de tranches
d’arbre épaisses.
Les érables
n’étant plus certains de pouvoir tenir le coup, perdaient
leur eau-de-vie, sans un mot, sans un cri,
Tandis que les paumes
de leurs feuilles jointes à leur manière nous disaient
au revoir.
Quelle lampe à
pétrole éclipsa l’étrange vallée ?
Qu’allions-nous
demander aux demeures cousues ou clouées comme des bouches ?
Nous déambulions
d’un arbre à l’autre, l’auréole de la
lampe doublant le halo de nos propres corps,
Nous aussi ressentions
l’envie folle de brûler nos âmes à côté
de la cheminée.
Dressant le chien
de nos oreilles,
Nous nous précipitions
vers les loups qu’il fallait entendre gémir au pied de
la lettre.
Pour l’être
plus précis, nos cœurs improvisés, sans partition,
ni flûte à bec ni hautbois, sans violon à arroser,
Pour ainsi dire, perdaient
la boussole en un tour de doute,
Écoutaient
avec passion la vérité des arbres primordiaux,
Qui évoquaient
la façon dont leur langue avait communiqué la forme de
la vie,
Depuis longtemps,
À la fleur
insecte et à l’étoile de mer, celle qui, là-bas
vers Andromède,
Fut chuchotée
par les uns vers les autres,
Un secret sans parole,
Sur l’immortalité
qui semblait ne tenir qu’aux rêves,
Là-bas,
Où se miraient
tout simplement,
La musique du temps
dans le bonheur des chimères et du vent.
– o –
Les gardiens de la
paix, ce 24 décembre, s’asphyxiaient dans les embouteillages,
Au milieu des avenues
laissaient errer leurs pensées dans tous les récipients
automobiles.
Cavalcade de roses
rouges,
Foule de coquillages
et de poissons bananes,
Procession d’éléphants
en robe des champs et, au garde-à-vous, une rangée de
matraques,
Tout ce qui menait
nulle part, vers le vide, finissait dans l’ivraie, sur le bitume
à lunettes C.R.S.
Malheureusement l’itinéraire
des chemins de fer effleurait la route,
Et nous attendions
que s’éveillât la carpe d’une apparition, au
milieu du brouillard.
Le ridicule l’emportait
sur un présent sans réponse.
Nous n’avions
aucune idée des choses sûres pas plus que de nos chaussettes.
Nous suivions des
indications de contralto somnolent.
Nous étions
égarés parmi les draps d’alentour et de demi-tour,
roulant et tournant sans desserrer les dents,
Depuis longtemps dans
l’impossibilité d’établir le contact avec
les molécules de notre corps qui se décomposait et,
D’occasion propice
en prépuce chaos de Sion,
Les paroles des maîtres
spirituels nous causaient cet embarras éternel,
Ce doute chiffonné,
ce choix décousu en innombrables morceaux,
Sur la vie imaginaire
emportant le réel,
Sur la vie passée
portant son futur incommunicable,
En haut comme en bas
d’une mémoire sans frontières,
En haut comme en bas,
perdue,
Étoile filante
face à la pensée cimetière,
Avec l’immortel
croque-mort dévorant les espérances.
N’y voyiez-vous
pas le blanc incinéré sur cette page ?
– o –
Quarante-neuvième
rue épineuse à l’autre bout du monde,
Sur le chemin de hantises
et de merveilles,
Cela, d’eux,
Combattait les bêtes
fauves, lionnes, dragons éprouvettes,
Défiait l’argent
des fonds de pension comme autant de puits sans fond,
Cassait la tête,
malgré les méditations, aux victimes du paradoxal et des
pannes sèches,
Poussait la charogne
jusqu’aux écuries, pendue aux accroche-cœurs d’un
cheval roux,
Soufflait au visage
le feu omnivore de Saint Georges,
Carburait au calvados,
Caracolait flingué
par Van Gogh,
Incendiait les suspects,
les bruyants, les maisons, les inconnus barbus, les tournesols, les
anarchistes, les trafiquants de drogue, les adeptes d’une secte,
les peintres impressionnistes, les vampires, les plaisantins, les cochers
et les bonnes,
Tirait sur les espoirs,
sur la fumée, sur les maîtres, sur les vaches, au son de
voix masculines ou féminines, par un tuyau de caoutchouc, entre
les rangs de vigne, avec la foudre, au beau milieu d’un pont,
sur les ans qui passaient mollement, en ayant une idée de génie,
aux dés hygiéniques, aux tarots, le yi-king, sur le sosie
de leur femme, le portrait d’une grimace porcine, ou même
seulement un trait sur une étiquette d’un vin bon marché,
à travers les vitrines, sur les trains qui s’arrêtaient
en gare de triage, en l’air quand planait un doute ou un dirigeable,
jusqu’aux vers de vase du nez d’un mec un peu naze,
Se targuait de s’appeler
Paul, d’avoir de l’huile d’olive dans le réservoir
de sa Mercedès, de connaître la fabrication (un secret
familial) de cette matière grasse, de ressembler à un
poivron (peut-être plus à un poivrot, difficile à
dire ?), de grimacer voire même de rire avec ses oreilles, d’être
cousin d’un lapin de garenne et frère du tonnerre, de pouvoir
vous péter dans les narines, de posséder la clef de contact
des soucis, de les moissonner comme des céréales, de ne
pas savoir lire,
Acclamait avec des
cris de joie, des détonations et des craquements étourdissants
de marmaille,
Couvrait les clameurs
de confettis,
Vantait les mérites,
Exprimait sa gratitude,
Chantait des louanges,
Suivait,
Entrait,
Tournait,
Gravissait,
S’embourbait,
Continuait,
Se révélait
femme, autre, la bonne parole, aux infrarouges ou aux ultraviolets,
S’étendait
à perte de vue et pour cette raison,
Devenait invisible,
restant à distance, vers le nord, sur les sentiers caillouteux,
les pistes cavalières, les chemins tortueux, à deux pas
des tombes, sur la mer agitée, tanguant sans voile,
Donnait le mal de
mer, quoiqu’il n’y eût que du sable, qu’un cul-de-sac
de sable, qu’un sac suspendu au bout d’une corde et, au
bout de la corde, un arbre et, à l’autre bout, dans le
sac, un vieillard grisonnant qui bougonnait dans sa barbe, comme un
bourgeon sur un arbousier rabougri.
Cela, d’eux,
avançait, s’exclamait, appuyait sur l’accélérateur,
klaxonnait sauvagement, dispersait les corbeaux, rasait les champs.
Les yeux fermés
régnaient en ces lieux sur la cendre, s’abaissaient derrière
de ténébreuses incandescences,
De surcroît,
n’avaient jamais vu la braise, ni se transformer en torche les
hommes de paille, ni flamber les palais, ni rôtir les oiseaux
à la broche,
Ne croisèrent
jamais un regard confus,
Ne cherchaient pas
en vain à l’horizon un conjoint disparu,
Ne commandaient ni
du doigt ni de l’œil,
Ne devinaient rien
dans le vol des hirondelles,
Ne visaient personne
d’une arme à feu,
Ne peignaient aucun
tableau en cachette.
Les yeux fermés
dormaient dans l’arrière-pays de leur présence,
en ce lieu du cœur bien à l’abri de la paille et de
la poutre, ne laissant pas même une faille pour un grain de sable.
– o –
De funestes fentes
tarissaient la galaxie, causant le naufrage inexorablement dans les
amas célestes,
Et les spirales constellations
menaient l’œil nu des monastères jusqu’à
l’émeraude frontale du monstre qui dormait en la pierre,
un dragon vaincu par le rire humain, la dérision interstellaire,
loin, somnolent, écarté de la raison,
Vaincu par une mystérieuse
maladie qu’on appelait sommeil, si proche pourtant de la joie
à réveiller les signes qui montraient peut-être
et non sans vices les fondements propices à la vie, la génisse.
Cherchant un sourire,
surprise !, s’exprimait ainsi cette promesse qui fit jouer dans
la serrure une clef de fortune,
En guise de miracle,
quarante jours auparavant, se dispersaient les cendres d’Abraham,
avec tous ses meubles, ses tableaux, ses tapis, ses lampes et autres
bibelots qu’un bateau ivre porta jusqu’au Havre puis, qu’un
camion à Anvers déversa sur le sable des ans,
Enjambant l’histoire
à la hâte, comme s’il s’agissait de la démolition
de quelques cloisons et de plusieurs portes, pour ouvrir une maison
à l’émerveillement général, quel cadeau
royal !, quelles clameurs ! ! !
C’était
la résurrection, la victoire sur les choses, pour arracher l’espace
aux griffes du temps, pour soustraire les souvenirs en proie au néant,
À l’instar
des abeilles qui revêtaient les murs avec la cire et la lavande.
Même les yeux
fermés reconnurent ce parfum,
Tandis qu’autrefois
fut ôté le couvercle et posé à la suite deux
chandeliers nécessaires,
Un seul cri en boîte
avertissait d’un danger,
À ce moment-là,
un rouge-gorge peint jubilait, éclair en noyer clair,
Dans ce tableau de
cerisier sauvage où était incrusté :
« Il paraît
que je rêve ! »
La sœur aînée
de l’ignorance feignit un mortel avantage,
Excluant « oui
» ce mot barbare qui signifiait parfois « non »,
Surtout dans le chant
du cor russe, qu’on crût traduire les hiéroglyphes
pour les sourds et muets,
Qui ne pouvaient plus
réprimer leurs rires.
Comme un tourbillon
de chandelles s’engouffrait pour claquer la porte à clef,
Cependant que le soleil,
se couchant, provoquait sous sa roue sanguine les tournoiements du vent,
s’enlisaient quelques sangsues.
Là-bas, dans
le funèbre en ligne, un grand-duc prenait en charge tous les
frais du morbide,
Jusqu’au bout,
portant sa tête en plâtre et son gros bec cassé,
il bravait l’Atlantique.
« Il paraît
que je rêve ! Ne manque que mon cadavre.
« Il paraît
que je rêve ! Je n’ai jamais vu ma vie.
« Il paraît
que je rêve ! Je vous le jure, j’ai laissé tomber
mon lit dans un gouffre béant. »
– o –
« Je crève
de faim de ces femmes cachetées comme il sied aux grands crus.
« Dans les crédences,
voulez-vous que je périsse ?
« Un joujou
suisse est mieux qu’un tournevis, pour transformer l’absence
en gouvernail et glisser sur l’enfer.
« Je vais vous
montrer comment se répandit à terre un banc de sardines,
et passer commande d’un chemin de traverse et vous offrir quinze
minutes de sable, le temps pour moi de dormir debout quinze minutes
supplémentaires.
« Le temps c’est
de l’absence, une crainte inexplicable à chaque battement
du cœur, les pulsations de quelqu’un qui me suit et qui
« Déraille,
un sucrier qui attire les mouches,
« Un arrière-grand-père
qui se tient sans cesse à distance,
« Qui est devant
quand je suis derrière et derrière quand je vais devant,
« Sans cesse
qui s’arrête lorsque je m’arrête,
« Sans cesse
qui avance sitôt quand je repars
« Jusqu’à
cet enclos où sera gravé dans la pierre, le nom de ma
transparence
« Et tressée
ma poussière.
« Pourquoi le
temps me suit-il ? Étrange créature, amourachée
des hommes
« Qui tourne
toujours à une distance sûre comme une toupie spectrale,
« Comme un boomerang
étourdi, un lance-pierres à visière, une quenouille
courant d’air.
« Voleur ! Voleur
! »
« Le temps est
une canaille !, l’âge sans raison, la liberté impudente
bouffée par les cochons et baillée par une huître,
« La première
des aventures, une quête camarade, l’épreuve sans
crime, le songe péripétie, un chemin sans secours,
« Et même
mort, je compte ses écrous dans chacune de mes mains. »
– o –
Pour tuer ce temps,
pour qu’il soit mort,
Au lieu de lui porter
secours, le priver de parole.
Une tortue renversée
ne mérite pas l’attention d’un homme en détresse.
– o –
C’était
impossible ! La fenêtre attendait le rêve d’une fenêtre.
Tout fut tromperie
salivaire,
Le mensonge atteignait
nos oreilles et l’embrouille de nos ennemis en chuchotait doucement
l’artifice.
Fallait-il que nous
mettions sous le bras notre peine afin d’éluder ce mystère,
au lieu d’élucider par de vaines mises notre vie sur terre
?
Riposterons-nous
aux cinq cents diables, aux épouvantails, aux chapeaux sourciliers,
aux employés de banque, aux agents d’assurances, aux gueules
de raie, aux marchands de melons, aux peintres allemands, au duc de
Buckingham, aux compagnons du tour de France, aux citadins septentrionaux
?
Comment répondrions-nous
la tête nue, sans argent, cousant la bouche de nos épouses,
sacrifiant nos fils pour la gloire éternelle ?
Acquiescerons-nous
pour un salaire de la peur, pour quelques dollars en plus, en urinant
la térébenthine, plus ou moins indifférents à
l’égard du crime, sans prêter attention aux événements
internationaux, nous reniant en qualité de témoins à
charge ou à décharge, cachant nos besognes détestables,
blanchissant nos profits lors de messes enchantées tandis que
tout bavait, la misère et la faim, l’orgueil et l’envie
?
Lâcherons-nous
la réussite aveugle, les fêtes d’initiés ?
Scanderons-nous le
grand jour,
Le grand jour d’une
autre réalité, nos yeux transperçant les révérences
honteuses, les pèlerines à papa,
Le grand jour à
ramasser les cailloux blancs des grandeurs d’âme,
Le grand jour quand
viendra la revanche des indigents,
Le grand jour qui
vaudra son pesant d’or,
Le grand jour qui
séparera la puanteur des parfums fragiles, les abysses commerciaux
de la grandeur d’âme,
Scanderons-nous les
cadavres exquis en déchiquetant les charognes, et le vin nouveau
en tirant le bouchon ?
Nous nous engagerons
à travers les domaines furtifs, moissonnant le blé et
jetant l’ivraie, pressant l’huile et le vin,
Curieux de rencontres
sans mot de passe pour pénétrer la mort,
Curieux des compagnies
rarissimes,
Contre la majorité
de pensée et son unique rêve colossal de matérialité.
Avec les cailloux
blancs comme preuves incontestables,
Avec les fantasmagories,
les diables gris des impatiences fatidiques, contagieuses,
Nous exigerons une
réponse immédiate,
Nous réclamerons
des explications au lieu de questions, des gestes vivants d’homme
et d’enfant, non pas de vivre comme des singes, de parler comme
des perroquets,
Nous nous ferons mots
os les échos du cosmos plutôt que moitiés de nous-mêmes
ces alouettes face aux miroirs,
Nous immobiliserons
le bronze sinistre du ciel aujourd’hui si sombre, silence enfin,
d’où l’empire et l’ombre, d’où
les ténèbres et le pire,
Nous lèverons
les pans de l’imaginaire, et les vers du poète ne rongeront
plus les morts qui respiraient encore,
Ces morts qui croyaient
être vivants alors que, au contraire, la vie était piégée
sous leur peau, la chair de poule,
Ces morts sceptiques
qui finiront dans la fosse,
Ces bouffons du grand
monde, à l’abri, semblait-il dans leurs chapelles, et s’exprimant
dans les urnes,
Minaudant aux enchères
leur âme d’un prix faramineux,
Le hasard en poche,
chacun à la recherche de son cher miracle,
D’une supercherie
en or massif,
À vrai dire,
amis des illusionnistes, des généraux qui caracolent sur
les ponts, des maréchaux de vingt grammes, des têtes couronnées,
des faux airs de faussaires, des charmeurs de serpents monétaires,
des camarades passe-passe, des orfèvres en la matière
qui firent carrière dans la girafe, Ah bon ! La girafe ! ?, des
pourlécheurs de talents, aux incisives vingt-quatre carats, la
salive aurifère, leur mouchoir fantôme des peuples, une
vapeur de folie s’échappant par peur de la fiole, leur
appétit d’argent mordillant les gens d’art, le cœur
fermé.
Les cœurs fermés
avaient une faim dévorante,
Les cœurs fermés
croyaient aux miracles et s’agenouillaient pour prier,
Les cœurs fermés
n’étaient que des trompe-l’œil,
Des trompe-l’œil
où ils naquirent, comme s’ils n’existaient pas, comme
des apparitions sortis de la trompe d’un fakir.
À vrai dire,
les cœurs fermés n’avaient de poches que pour les
remplir, ils y plongeaient leurs mains pour éviter les coups
de main ou jetaient en aumône aux gamins leurs jouets abîmés,
s’accaparaient la terre et pillaient ses entrailles, sans jamais
s’occuper des lendemains, qu’importe la marmaille !
À vrai dire,
le consentement de tels amis dissimulait un accord venimeux, la combine
des combinés, la distance téléphonique.
Entre-temps, façade
nord, un crépuscule derrière leur dos trinquait, verres
levés, à la santé des compagnons défunts.
La nuit serait bicorne,
sa bouche vorace faisant le guet, prête à bondir au moindre
bruit.
Juillet 2005