Personne n'est quitte à Terre

par Didier Somvongs

Dans cette histoire, encore en ce bas monde, hélas !, le gagne-pain des escogriffes qui participaient à la santé, fanait au balancier d’une pendule.

Vingt-quatre coups très exacts ont voulu la peau dont les moutons sentaient la démangeaison,
Vingt-quatre très exacts vols de médecins,
Ci-dessus docteurs criminels incessants,
Leur plaisir paraissant avec ce frisson, cette idée qu’ils pouvaient brouter le sang de trois hommes,
Très exactement,
En l’espace de quelques heures,
Vider têtes et poitrines sur la table d’examen,
Et, suspendus au bord brodé d’un linceul blanc, patiemment,
Ceux-ci eurent attendu pour mordre une nouvelle fois.

De toutes ces morsures, sans qu’il y paraisse, buccales, humaines et autres vermines prenant l’air à la surface glaireuse, par surcroît vivant à retardement une lèvre pendante dans le vestibule,
De toutes les paroles, clopin-clopant, certaines poussées en présence de la mort à travers yeux sans cervelle et couvées par la brume,
En l’absence d’un miroir pour la vérité, au fond de l’abîme jusqu’à l’étendue vivante et/ou non vivante,
De toutes les insinuations sifflantes auxquelles tant de serpents faisaient allusion mouvant leurs queues dans les cérébrales cellules,
À moutons rompus,
Caducité du caducée scie,
Dominant les tempêtes en dérobant les heurts qui se démodent à toute heure,
Les heurts d’une journée ,
Pour l’amour du ciel, quel trou !, comme une empreinte sur les lits funèbres, un moule sur l’au-delà, un spectre émané par l’esprit,
Ne reste que cette absurdité, celle qui consiste à laisser du néant, sur la table, un relief.

– o –

Le premier trou sous le toit qu’un passé mentionne sur cet événement, dudit phénomène lorsque hommes et femmes s’étaient abattus,
Hantés par une neige de sang-froid,
Hantés par le ciel qui versait à flots, lors d’une bataille, leurs globules et leurs biles,
Lors d’un combat de jadis,
Abreuvant les vampires sur les rivages sanglants de jadis,
Rassasiant Dieu de ses damnés, dames nées et messieurs-dames,
Pour que Dieu savourât, perplexe, sa propre hospitalité en ces lieux miracles, en ces no man’s land, où ni homme ni femme n’eurent mieux vécu son absence que pendant la vie.

– o –

Les miracles se produisaient dans un espace effet placenta,
Les fœtus nuisibles éternuant les hommes de légende.

Ce fut alors les lamentations taciturnes,
La cavalerie des lames déferlant sur l’Atlantique.

– o –

Voir à merveille avec Ampère l’éternel corbeau à trompette de pied en cap breton,
Mais aussi les parapluies ambulants de Victor Hugo et de Paul Valéry tandis que la pluie coulait les minutes par un mince ruban noir,
Une cage d’oiseau abritant les duvets comme dans les imperméables,
Avant le rendez-vous que manteaux sans étiquette, capes d’astrakan, redingotes et pèlerines concluaient avec les canadiennes.

Les gynécologues devenaient marchand de tapis ou sculpteur psychanalyste, fiancé perpétuel ou agent de voyage, spirite à l’ère du Poisson ou homme d’affaires ruiné par une faim militaire, faussaire à coucher dehors.

Victor Hugo, dans sa Mercedès, libellait ses chèques en arabe.

Un quart d’heure auparavant, une mystérieuse chose cachée dans un cœur en camphrier gravé de lettres chinoises,
Fut entrouverte et posée sur le velours cerise de cendres à mille balles.

Géante boîte ou cage d’un tas de gourmandises,
Somptueux pudding au canard, gigot de mer et fruits en bière à peine sortis du frais, furent jetés dans les automobiles.

Noël, baiser Polaroïd.

Transistor automatique dont la langue de bois sortait hors de ses entrailles,
Sur-le-champ.

Au sommet des crânes, la nacre attristée des huîtres fondaient en larmes,
Sur la banquette charnue de hanches et de cuisses bavant des jupes,
Cuisses avec chignon, boursouflées,
Derrière la glace arrière,
Derrière le voile givré,
Derrière la neige cocaïne.

Les amis poussaient ce cri inaudible qui clouait une larme sur les regards ou jetaient en train l’œil,
Derrière la lunette du soldat inconnu,
Derrière l’étoile du sanhédrin,
En direction d’un Dieu clément,
Derrière les subconscients de chair et d’os,
Hoquetant la peur vécue des moments clameurs cicatrices,
Vociférant la stridence entée téléphonique,
Des clients affamés qui demandaient de l’esprit à midi.

Pourquoi pas des fantômes en fer dans la quarante-neuvième rue ?

La quarante-neuvième rue n’est-elle pas cet endroit des perceptions imaginaires où quarante-neuf tibétains à contrecœur cuisaient à la coque le corps terrestre ?

Ils agissaient ainsi pour nous faire leurs adieux,
Pour soulever des paroles dont la sueur à goûter sentait le piment,
D’une âme abusée qui s’était dressée sur ses pattes arrière,
D’une âme qui s’était mis à sonner dans un silence pesant, serrant la gorge,
D’une âme cosmique tourbillonnant dans les étoiles des heures lactées,
Gluante.

Pénible vision.
Toussoter.
Peut-être murmurer.
Peut-être réveiller le chat qui dort.

Jusqu’alors un escargot crachait sur les essuie-glaces et le pare-brise soudainement bêla.

Qui suppute dans la rue fait le trottoir et lèche les vitrines.
Nom d’une pipe !
Allô ! Qui est là ? De quoi s’agit-il ?

Cette fois dormait tout le monde et sur les fenêtres la mort vidait ses viscères,
Le comble dans le silence étant de chauffer l’air à blanc,
D’enfoncer entre les cuisses le combiné d’un maître,
De permettre aux témoins cet état de veille qui a effacé, comme avec un mouchoir, la viscosité surnaturelle d’une croix qui croassait,
De fixer les regards sur l’hallucination collective, cathodique,
Donnant aux voitures de malheur l’illusion d’une présence,
D’expliquer l’atmosphère en laquelle naîtraient les âmes maudites,
De claquer les portières avec des gants.

Nous nous ferions volontiers arracheurs tout bêtement des haut-parleurs dans les maisons hantées,
Et pourquoi pas imprécateurs hurlant des sirènes, vociférant la rage et le vacarme des heurts de mots diesel,
Foudroyant Alpha du Centaure d’un seul regard, tous nos yeux tournés vers rien ou en direction arrière,
Braquant l’index sur la vertu qui s’était mise à saigner.

Que Dieu ne perde pas le nord !

Pendant à une autre croix, oscillait l’esprit d’un homme, sans que sa voix même ne triomphât du jeu obscène lumière/ombre des gyrophares activés par la police mystique.

Que Dieu ne perde pas le nord !

– o –

Quelle force inexplicable devant un verre de pluie ?

L’invraisemblable fuite glissait du ciel.

S’agissait-il d’un effet spécial ou d’un décor béant sur les magasins ferroviaires dont on pouvait apercevoir le semis étoilé,
La lune éblouissante,
Et les cheveux drus qu’une nymphe de dix-sept ans faisait onduler au zéphyr ?

Nous échangerons nos yeux pour contempler en particulier la mort s’accouplant avec l’amour,
Au théâtre de la guerre obscène quand les eaux de la Seine prennent la mer dans un bol de plâtre.

Nous applaudirons les artistes, les machinistes et les projecteurs qui racontèrent ce charabia puis, sans tarder,
Une promenade nocturne dans un train express à destination de l’aube,
Nous mènera en guise de conclusion, quelque part,
En caressant les faux pas griffonnés par des chevaux de parade,
Au sommet de floraisons sèches,
Sautant des voitures comme le champagne,
Les minutes trop tard,
Pour jouir d’un verre de jalousie, à l’intérieur de la berline, instantanément.

Nous tirerons l’avenir à travers ce sourire mélancolique,
En trempant notre oreille droite pour avoir deux oreilles gauches,
Afin de mouiller notre petit mois et moi, émoi de mai,
Au mois de mai, une deuxième fois, patiemment, au mois de mai,
La belle occasion d’arracher les griffes de jours soufferts avec du linge sale.

Nous toucherons chacun parmi nous, dans sa passion pour lui dessiller les yeux, faisant grâce à son ingénue sucée, à sa vérité et à son souvenir.

– o –

Nous étions à l’aéroport avant le décollage de l’Océan et nous tous connaissions comme notre poche le soma qualifié d’ancêtre, le coma indien éveillant ce chagrin indescriptible face au monde sans espoir, sans fenêtres, sans matin suivant.
Presque tout était à part, à l’ombre, de suie et de sel gris, brumeux, sans nuages et sans couleur, un sel abattu sous les épieux sans sève, un sel en cendres.
Sans espoir, qu’avons-nous fait de nous tuer, en badinant, nous tuer et tuer l’espoir de nous délivrer du chagrin ?

Nous jeter la bouée au nez, les joues tétées pour les idées nouées, leur boue, pour les héros sans rose, les genoux qu’Éros plie et nous gêner, essorés.

Sans tarder, les grands-pères arbres semblaient sortir tout droit de la cheminée, leur fumée ne se dissipant guère,
Leur bois ne puisant plus l’eau potable,
Et presque tous les troncs, tous les fûts qui restaient, sans branches ni feuilles, ne suintaient alors plus l’or dans nos seaux.

Nous rentrions en ville le temps de nous chauffer, à grand-peine brûlions-nous nos lèvres sur les livres de la forêt promise,
La forêt promise des fillettes blondes et des bosquets d’érables,
La forêt promise d’un drôle de monde de tables et de cabanes, de portes et de tonneaux, de planches friandises, de haricots rouges et de tranches d’arbre épaisses.

Les érables n’étant plus certains de pouvoir tenir le coup, perdaient leur eau-de-vie, sans un mot, sans un cri,
Tandis que les paumes de leurs feuilles jointes à leur manière nous disaient au revoir.

Quelle lampe à pétrole éclipsa l’étrange vallée ?

Qu’allions-nous demander aux demeures cousues ou clouées comme des bouches ?

Nous déambulions d’un arbre à l’autre, l’auréole de la lampe doublant le halo de nos propres corps,
Nous aussi ressentions l’envie folle de brûler nos âmes à côté de la cheminée.

Dressant le chien de nos oreilles,
Nous nous précipitions vers les loups qu’il fallait entendre gémir au pied de la lettre.

Pour l’être plus précis, nos cœurs improvisés, sans partition, ni flûte à bec ni hautbois, sans violon à arroser,
Pour ainsi dire, perdaient la boussole en un tour de doute,
Écoutaient avec passion la vérité des arbres primordiaux,
Qui évoquaient la façon dont leur langue avait communiqué la forme de la vie,
Depuis longtemps,
À la fleur insecte et à l’étoile de mer, celle qui, là-bas vers Andromède,
Fut chuchotée par les uns vers les autres,
Un secret sans parole,
Sur l’immortalité qui semblait ne tenir qu’aux rêves,
Là-bas,
Où se miraient tout simplement,
La musique du temps dans le bonheur des chimères et du vent.

– o –

Les gardiens de la paix, ce 24 décembre, s’asphyxiaient dans les embouteillages,
Au milieu des avenues laissaient errer leurs pensées dans tous les récipients automobiles.

Cavalcade de roses rouges,
Foule de coquillages et de poissons bananes,
Procession d’éléphants en robe des champs et, au garde-à-vous, une rangée de matraques,
Tout ce qui menait nulle part, vers le vide, finissait dans l’ivraie, sur le bitume à lunettes C.R.S.

Malheureusement l’itinéraire des chemins de fer effleurait la route,
Et nous attendions que s’éveillât la carpe d’une apparition, au milieu du brouillard.

Le ridicule l’emportait sur un présent sans réponse.

Nous n’avions aucune idée des choses sûres pas plus que de nos chaussettes.

Nous suivions des indications de contralto somnolent.

Nous étions égarés parmi les draps d’alentour et de demi-tour, roulant et tournant sans desserrer les dents,
Depuis longtemps dans l’impossibilité d’établir le contact avec les molécules de notre corps qui se décomposait et,
D’occasion propice en prépuce chaos de Sion,
Les paroles des maîtres spirituels nous causaient cet embarras éternel,
Ce doute chiffonné, ce choix décousu en innombrables morceaux,
Sur la vie imaginaire emportant le réel,
Sur la vie passée portant son futur incommunicable,
En haut comme en bas d’une mémoire sans frontières,
En haut comme en bas, perdue,
Étoile filante face à la pensée cimetière,
Avec l’immortel croque-mort dévorant les espérances.

N’y voyiez-vous pas le blanc incinéré sur cette page ?

– o –

Quarante-neuvième rue épineuse à l’autre bout du monde,
Sur le chemin de hantises et de merveilles,
Cela, d’eux,
Combattait les bêtes fauves, lionnes, dragons éprouvettes,
Défiait l’argent des fonds de pension comme autant de puits sans fond,
Cassait la tête, malgré les méditations, aux victimes du paradoxal et des pannes sèches,
Poussait la charogne jusqu’aux écuries, pendue aux accroche-cœurs d’un cheval roux,
Soufflait au visage le feu omnivore de Saint Georges,
Carburait au calvados,
Caracolait flingué par Van Gogh,
Incendiait les suspects, les bruyants, les maisons, les inconnus barbus, les tournesols, les anarchistes, les trafiquants de drogue, les adeptes d’une secte, les peintres impressionnistes, les vampires, les plaisantins, les cochers et les bonnes,
Tirait sur les espoirs, sur la fumée, sur les maîtres, sur les vaches, au son de voix masculines ou féminines, par un tuyau de caoutchouc, entre les rangs de vigne, avec la foudre, au beau milieu d’un pont, sur les ans qui passaient mollement, en ayant une idée de génie, aux dés hygiéniques, aux tarots, le yi-king, sur le sosie de leur femme, le portrait d’une grimace porcine, ou même seulement un trait sur une étiquette d’un vin bon marché, à travers les vitrines, sur les trains qui s’arrêtaient en gare de triage, en l’air quand planait un doute ou un dirigeable, jusqu’aux vers de vase du nez d’un mec un peu naze,
Se targuait de s’appeler Paul, d’avoir de l’huile d’olive dans le réservoir de sa Mercedès, de connaître la fabrication (un secret familial) de cette matière grasse, de ressembler à un poivron (peut-être plus à un poivrot, difficile à dire ?), de grimacer voire même de rire avec ses oreilles, d’être cousin d’un lapin de garenne et frère du tonnerre, de pouvoir vous péter dans les narines, de posséder la clef de contact des soucis, de les moissonner comme des céréales, de ne pas savoir lire,
Acclamait avec des cris de joie, des détonations et des craquements étourdissants de marmaille,
Couvrait les clameurs de confettis,
Vantait les mérites,
Exprimait sa gratitude,
Chantait des louanges,
Suivait,
Entrait,
Tournait,
Gravissait,
S’embourbait,
Continuait,
Se révélait femme, autre, la bonne parole, aux infrarouges ou aux ultraviolets,
S’étendait à perte de vue et pour cette raison,
Devenait invisible, restant à distance, vers le nord, sur les sentiers caillouteux, les pistes cavalières, les chemins tortueux, à deux pas des tombes, sur la mer agitée, tanguant sans voile,
Donnait le mal de mer, quoiqu’il n’y eût que du sable, qu’un cul-de-sac de sable, qu’un sac suspendu au bout d’une corde et, au bout de la corde, un arbre et, à l’autre bout, dans le sac, un vieillard grisonnant qui bougonnait dans sa barbe, comme un bourgeon sur un arbousier rabougri.

Cela, d’eux, avançait, s’exclamait, appuyait sur l’accélérateur, klaxonnait sauvagement, dispersait les corbeaux, rasait les champs.

Les yeux fermés régnaient en ces lieux sur la cendre, s’abaissaient derrière de ténébreuses incandescences,
De surcroît, n’avaient jamais vu la braise, ni se transformer en torche les hommes de paille, ni flamber les palais, ni rôtir les oiseaux à la broche,
Ne croisèrent jamais un regard confus,
Ne cherchaient pas en vain à l’horizon un conjoint disparu,
Ne commandaient ni du doigt ni de l’œil,
Ne devinaient rien dans le vol des hirondelles,
Ne visaient personne d’une arme à feu,
Ne peignaient aucun tableau en cachette.

Les yeux fermés dormaient dans l’arrière-pays de leur présence, en ce lieu du cœur bien à l’abri de la paille et de la poutre, ne laissant pas même une faille pour un grain de sable.

– o –

De funestes fentes tarissaient la galaxie, causant le naufrage inexorablement dans les amas célestes,
Et les spirales constellations menaient l’œil nu des monastères jusqu’à l’émeraude frontale du monstre qui dormait en la pierre, un dragon vaincu par le rire humain, la dérision interstellaire, loin, somnolent, écarté de la raison,
Vaincu par une mystérieuse maladie qu’on appelait sommeil, si proche pourtant de la joie à réveiller les signes qui montraient peut-être et non sans vices les fondements propices à la vie, la génisse.

Cherchant un sourire, surprise !, s’exprimait ainsi cette promesse qui fit jouer dans la serrure une clef de fortune,
En guise de miracle, quarante jours auparavant, se dispersaient les cendres d’Abraham, avec tous ses meubles, ses tableaux, ses tapis, ses lampes et autres bibelots qu’un bateau ivre porta jusqu’au Havre puis, qu’un camion à Anvers déversa sur le sable des ans,
Enjambant l’histoire à la hâte, comme s’il s’agissait de la démolition de quelques cloisons et de plusieurs portes, pour ouvrir une maison à l’émerveillement général, quel cadeau royal !, quelles clameurs ! ! !

C’était la résurrection, la victoire sur les choses, pour arracher l’espace aux griffes du temps, pour soustraire les souvenirs en proie au néant,

À l’instar des abeilles qui revêtaient les murs avec la cire et la lavande.

Même les yeux fermés reconnurent ce parfum,
Tandis qu’autrefois fut ôté le couvercle et posé à la suite deux chandeliers nécessaires,
Un seul cri en boîte avertissait d’un danger,
À ce moment-là, un rouge-gorge peint jubilait, éclair en noyer clair,
Dans ce tableau de cerisier sauvage où était incrusté :
« Il paraît que je rêve ! »

La sœur aînée de l’ignorance feignit un mortel avantage,
Excluant « oui » ce mot barbare qui signifiait parfois « non »,
Surtout dans le chant du cor russe, qu’on crût traduire les hiéroglyphes pour les sourds et muets,
Qui ne pouvaient plus réprimer leurs rires.

Comme un tourbillon de chandelles s’engouffrait pour claquer la porte à clef,
Cependant que le soleil, se couchant, provoquait sous sa roue sanguine les tournoiements du vent, s’enlisaient quelques sangsues.

Là-bas, dans le funèbre en ligne, un grand-duc prenait en charge tous les frais du morbide,
Jusqu’au bout, portant sa tête en plâtre et son gros bec cassé, il bravait l’Atlantique.

« Il paraît que je rêve ! Ne manque que mon cadavre.
« Il paraît que je rêve ! Je n’ai jamais vu ma vie.
« Il paraît que je rêve ! Je vous le jure, j’ai laissé tomber mon lit dans un gouffre béant. »

– o –

« Je crève de faim de ces femmes cachetées comme il sied aux grands crus.
« Dans les crédences, voulez-vous que je périsse ?
« Un joujou suisse est mieux qu’un tournevis, pour transformer l’absence en gouvernail et glisser sur l’enfer.
« Je vais vous montrer comment se répandit à terre un banc de sardines, et passer commande d’un chemin de traverse et vous offrir quinze minutes de sable, le temps pour moi de dormir debout quinze minutes supplémentaires.
« Le temps c’est de l’absence, une crainte inexplicable à chaque battement du cœur, les pulsations de quelqu’un qui me suit et qui
« Déraille, un sucrier qui attire les mouches,
« Un arrière-grand-père qui se tient sans cesse à distance,
« Qui est devant quand je suis derrière et derrière quand je vais devant,
« Sans cesse qui s’arrête lorsque je m’arrête,
« Sans cesse qui avance sitôt quand je repars
« Jusqu’à cet enclos où sera gravé dans la pierre, le nom de ma transparence
« Et tressée ma poussière.
« Pourquoi le temps me suit-il ? Étrange créature, amourachée des hommes
« Qui tourne toujours à une distance sûre comme une toupie spectrale,
« Comme un boomerang étourdi, un lance-pierres à visière, une quenouille courant d’air.
« Voleur ! Voleur ! »
« Le temps est une canaille !, l’âge sans raison, la liberté impudente bouffée par les cochons et baillée par une huître,
« La première des aventures, une quête camarade, l’épreuve sans crime, le songe péripétie, un chemin sans secours,
« Et même mort, je compte ses écrous dans chacune de mes mains. »

– o –

Pour tuer ce temps, pour qu’il soit mort,
Au lieu de lui porter secours, le priver de parole.

Une tortue renversée ne mérite pas l’attention d’un homme en détresse.

– o –

C’était impossible ! La fenêtre attendait le rêve d’une fenêtre.
Tout fut tromperie salivaire,
Le mensonge atteignait nos oreilles et l’embrouille de nos ennemis en chuchotait doucement l’artifice.
Fallait-il que nous mettions sous le bras notre peine afin d’éluder ce mystère, au lieu d’élucider par de vaines mises notre vie sur terre ?

Riposterons-nous aux cinq cents diables, aux épouvantails, aux chapeaux sourciliers, aux employés de banque, aux agents d’assurances, aux gueules de raie, aux marchands de melons, aux peintres allemands, au duc de Buckingham, aux compagnons du tour de France, aux citadins septentrionaux ?

Comment répondrions-nous la tête nue, sans argent, cousant la bouche de nos épouses, sacrifiant nos fils pour la gloire éternelle ?

Acquiescerons-nous pour un salaire de la peur, pour quelques dollars en plus, en urinant la térébenthine, plus ou moins indifférents à l’égard du crime, sans prêter attention aux événements internationaux, nous reniant en qualité de témoins à charge ou à décharge, cachant nos besognes détestables, blanchissant nos profits lors de messes enchantées tandis que tout bavait, la misère et la faim, l’orgueil et l’envie ?

Lâcherons-nous la réussite aveugle, les fêtes d’initiés ?

Scanderons-nous le grand jour,
Le grand jour d’une autre réalité, nos yeux transperçant les révérences honteuses, les pèlerines à papa,
Le grand jour à ramasser les cailloux blancs des grandeurs d’âme,
Le grand jour quand viendra la revanche des indigents,
Le grand jour qui vaudra son pesant d’or,
Le grand jour qui séparera la puanteur des parfums fragiles, les abysses commerciaux de la grandeur d’âme,
Scanderons-nous les cadavres exquis en déchiquetant les charognes, et le vin nouveau en tirant le bouchon ?

Nous nous engagerons à travers les domaines furtifs, moissonnant le blé et jetant l’ivraie, pressant l’huile et le vin,
Curieux de rencontres sans mot de passe pour pénétrer la mort,
Curieux des compagnies rarissimes,
Contre la majorité de pensée et son unique rêve colossal de matérialité.

Avec les cailloux blancs comme preuves incontestables,
Avec les fantasmagories, les diables gris des impatiences fatidiques, contagieuses,
Nous exigerons une réponse immédiate,
Nous réclamerons des explications au lieu de questions, des gestes vivants d’homme et d’enfant, non pas de vivre comme des singes, de parler comme des perroquets,
Nous nous ferons mots os les échos du cosmos plutôt que moitiés de nous-mêmes ces alouettes face aux miroirs,
Nous immobiliserons le bronze sinistre du ciel aujourd’hui si sombre, silence enfin, d’où l’empire et l’ombre, d’où les ténèbres et le pire,
Nous lèverons les pans de l’imaginaire, et les vers du poète ne rongeront plus les morts qui respiraient encore,
Ces morts qui croyaient être vivants alors que, au contraire, la vie était piégée sous leur peau, la chair de poule,
Ces morts sceptiques qui finiront dans la fosse,
Ces bouffons du grand monde, à l’abri, semblait-il dans leurs chapelles, et s’exprimant dans les urnes,
Minaudant aux enchères leur âme d’un prix faramineux,
Le hasard en poche, chacun à la recherche de son cher miracle,
D’une supercherie en or massif,
À vrai dire, amis des illusionnistes, des généraux qui caracolent sur les ponts, des maréchaux de vingt grammes, des têtes couronnées, des faux airs de faussaires, des charmeurs de serpents monétaires, des camarades passe-passe, des orfèvres en la matière qui firent carrière dans la girafe, Ah bon ! La girafe ! ?, des pourlécheurs de talents, aux incisives vingt-quatre carats, la salive aurifère, leur mouchoir fantôme des peuples, une vapeur de folie s’échappant par peur de la fiole, leur appétit d’argent mordillant les gens d’art, le cœur fermé.

Les cœurs fermés avaient une faim dévorante,
Les cœurs fermés croyaient aux miracles et s’agenouillaient pour prier,
Les cœurs fermés n’étaient que des trompe-l’œil,
Des trompe-l’œil où ils naquirent, comme s’ils n’existaient pas, comme des apparitions sortis de la trompe d’un fakir.

À vrai dire, les cœurs fermés n’avaient de poches que pour les remplir, ils y plongeaient leurs mains pour éviter les coups de main ou jetaient en aumône aux gamins leurs jouets abîmés, s’accaparaient la terre et pillaient ses entrailles, sans jamais s’occuper des lendemains, qu’importe la marmaille !

À vrai dire, le consentement de tels amis dissimulait un accord venimeux, la combine des combinés, la distance téléphonique.

Entre-temps, façade nord, un crépuscule derrière leur dos trinquait, verres levés, à la santé des compagnons défunts.

La nuit serait bicorne, sa bouche vorace faisant le guet, prête à bondir au moindre bruit.

Juillet 2005