Un Buis dans une Noix

par Didier Somvongs

I

Mon digne chroniqueur à claque, Pierre, fer au poing, descendait chaque paysage. L'âge poursuivait Pierre, cent fois visité sous toutes ses faces.
Quand on a songé aux sapins sauvages et mémorables ! Ô ! Seigneur ! Ces géantes batailles de haches !
Et Pierre hochait ses gros yeux de ruines.
Aux us et coutumes de velours et d'argent, il se serait cru devenir un rat à la mode. Le digne chroniqueur allait donc là-bas le 3 juillet examiner ses propres yeux déterrés récemment.

Ses pas s'engrenaient aux heures.

Ses pas s'enfonçaient dans la nuit où tout commençait à se faire imperceptible. Quel spectacle mélancolique ! ! ! quand la montagne se retire de seconde en seconde, derrière vos yeux, tandis que vont disparaître les feuilles mortes dans la vallée silencieuse et monotone !
Pierre, à cette heure, hors de ses habitudes, au lieu des ornières, se perdait, s’emportait et découvrit sur son nez des lunettes qui, peut-être, forceraient le chemin des rochers ! « Que le Ciel soit clopin-clopant, Lui, sans pitié pour mon rhumatisme et lequel voudrait dans les bois m'exterminer ! »

Un quart heure plus distinct tomba.

À perte de vue, avec ses longues pattes noires, l'ombre d’une araignée gigantesque et tout autour des bois mugissants.
Imaginez-la, ramassée, obscure, adossée contre la montagne et, au fond de ses cavités oculaires, un feu qui brûlait petit à petit les pierres, la bruyère et les chênes. Ses pattes se perdaient dans l'ombre en combustion jusqu’à l’endroit même où l’air se fissure.

Tandis que Pierre, contemplant ces choses, s’égarait, un astre l'apercevant lui cria : « Hé ! Celui qui pardonne ne fait pas contrebande de la lumière ! »
Le candélabre de la lune fouilla les recoins de ses yeux gris.

Tout en écoutant le tumulte des flots, Pierre, lointain, rêva très longtemps aux furieuses luttes qui agitaient les êtres féroces jusque dans le murmure des rochers avant que les crocs d’un grillon courant comme les étincelles de ses pensées ne l'endormissent profondément.

II

Pierre dormait au milieu du silence. Il rêvait des histoires qui ne signifiaient rien. Se souvenir. Se souvenir de la peur et de l'épouvante face aux fantômes comme autant de vents furieux et lugubres. Le silence retentit pour la troisième fois.

La muraille psalmodiait avec les repos d’une vipère qui veut vous mordre et, ainsi, la mort ne sera-t-elle pas sur vous comme la foudre ? Cette vipère conspirait l’abîme où s’enfoncent tous les aveux, où des yeux jaillissent comme surgiraient une guirlande d’oiseaux ténébreux.

La voix de la mort y exhalait sa terreur et semblait s'échapper d’un gouffre mais, survint l'orage !

L'herbe des champs roulait à perte de vue dans les flots bleus, là-haut, à quinze cents pieds, où tourbillonnait l’air. Puis, le premier éclair. De larges gouttes tombèrent sur la sueur du chroniqueur qui n’était plus qu’une ombre ratatinée, qu’un œuf concassé, qu’un squelette aveugle prisonnier de sa rêverie éternelle.

« Mourir ce n’est pas plaisanter, songeait-il, ce n’est pas grave non plus. Rire me garde de tout savoir, rire me garde de la ruine, depuis mille ans ! Un nouvel éclair reviendra après la nuit, après le jour, la nuit, le jour, la nuit ... ainsi de suite. Et le soleil est l'âme du ciel qui brille entrelacée dans le granit. »

On entendait alors le galop de la pluie et les éclairs succédaient au tonnerre.

Une jeune fille de quinze ans au plus, coiffée d'un parapluie, surgit, ruisselant de sable. Cette jeune fille plus flottante qu’une idée, s’endormit alors, son inexprimable regard en extase emporté par le vent vers la plaine, là-bas, à l’endroit de la grande tour encore debout.

Après un dernier coup de foudre, ses larmes, d'instants en instants plus impétueuses, s'étaient mises à tomber dans un clapotement immense, qui débordait du ravin.

Pierre ne disait mot et se sentait heureux car, au moment de son réveil, il avait vu la jeune fille.

En riant, il cherchait, les mains sous l’eau, la mélancolie qui commençait à poindre. Mille parfums frissonnaient d'amour à lui épanouir le cœur.
Alors le chroniqueur vit quelques nuages blancs voguer au-dessus de la rêveuse.
« En route ! Car la roue tourne sans arrêt. Adieu, dit Pierre à la jeune fille, qui se retournant, émue, inclina la tête d’un hochement de vieille. »

à Marrak’ch du 3 mars au 30 avril 2005