Le Trac entre les Tempes
Je pense souvent prendre
congé de la vie et à propos d’une fille la mort
à connaître
Faire mieux que me dire adieu j’ai perdu la surprise de la peur
sa robe se dérobe
Arrachée à mon sommeil ma main a passé dans la
sienne
La chaleur ne la quittait guère je me suis assoupi je suis resté
immobile mon pied brûle
J’ai échangé ma vie contre un mensonge parait-il
que nous nous sommes aimés
J’ai échangé ma montre contre une balle en plein
cœur métal fait mal je l’ai même embrassée
Il faudrait toujours
perdre les minutes vécues à la dernière minute
Supputer le déclin se tromper fidèlement prendre la porte
ou la peine
Monologues dans la tête tapoter la voix hors de ces quatre murs
En venir aux souvenirs à la dérobée le chemin de
fer qui passe par les pommiers
Et les bouquets de haies toujours sur une serviette blanche
Silhouette sans étoffe compartiment de vacances gare vue de loin
étouffant les sanglots
Le regard s’émerveille
avant le dessert le pain du guichet semble bien mystérieux
Fumée de lumière et fournaise dans la chambre avec deux
ou trois femmes
Je suis tout nu et je n’en sais plus rien de toutes ces femmes
qui tanguent sur les rails
Vite je suis revenu comme un signe ailleurs quelque chose possible qui
force la douceur
Vide peuplé d’ombres pour rien tirer son charbon du fond
des ténèbres
Oiseau battant le chien du monde glisser dormir caresser pinceaux parfums
Pour disperser les
fantômes frapper à la porte de la guérison nocturne
Je survis mais c’est très inutile les maisons s’enflamment
moisissure exquise
Passer ici ainsi dans le temps comme un passager voyage paysage ô
mon amour
Je nous je noue je n’oublierai pas les trous les troupeaux d’octobre
la pluie qui bêle
Quand tout tout autour le temps traîne son embuscade à
chercher du bois mort
Je prends un livre je le brûle car j’ai cesser de lire ces
feuilles d’automne
Je prends la vie née
du silence et j’éprouve les matins qui tombent en file
indienne
L’autobus ce berger abat sur sa route les corbeaux qui de trop
près l’observent
Fruits si mûrs qui se détachent comme du sable fin tirer
d’un trait le soleil
Trait comme les vaches au sortir de l’étable nostalgie
nostalgie j’aime tes lèvres
Saisies au vol valises dans les marges lèvres livres fenêtres
allumées il n’y a pas
De liberté à t’attendre bonheur ni de guerre à
quitter l’encre coule sa solitude
Cheval première
je choisis Baudelaire ne parler de rien d’autre avec cet apôtre
Le huitième étage de l’essentiel n’est rien
pour personne et encore moins pour moi-même
Voici quelques années prêtre ou épicier eurent le
même professeur
Entrevoir l’agonie des années de travail hardiment céder
l’immortel à la vie
Au cinéma tout est rose et jaune crucifix d’argent et Jésus
Christ doré
J’essaye de me joindre mais j’ai décampé du
soir au matin gardant le secret de mes songes
Au parloir un canapé
et la psychanalyse les lendemains sans bras le bazar du ciel sur la
terre
Tomber du jour la certitude des barrières coucher seul jamais
pardon agoniser
Sécurité et paix à perte de vue brrrrr l’épaisseur
de l’hiver en contrebas des bombes
Va-et-vient qui flâne qui serpente qui escalade pour poser le
pied dans un trou interdit
Je n’y rencontre jamais un juste les temps de fraude cachent leurs
espions
Oui les routes existent pour qu’un quidam s’y glisse et
fuit les grandes cisailles de l’éternité
Ratisser l’ombre
pelée du coin de l’œil être aimé des
femmes la noblesse des soupirs
Voilà mieux la romanesque aventure toujours songer davantage
aux proies
Un chapeau de paille où se blottissent les arbres les roses les
canards les jours
Comme une forteresse les dentelles à deux battants avec circonspection
Les chiens qui jappent gueule ouverte et bondissent pour passer le fleuve
De l’amour invisible tout à côté ou à
l’autre bout de la tendre inclination
Franchir les rues
sous les platanes écoutant ce qu’elle me disait la gaieté
inoubliable
J’essaie de penser dans sa tête et de mettre à l’endroit
le clocher du soleil
Au revoir printemps te souviens-tu de mon bonheur le voici j’ai
deviné ma vie
A travers la jalousie en deçà du rêve et sa touffe
blonde reposant sur la moquette
Jusqu’au plafond midi tamisé qui chante l’eau devant
l’armoire à glace
Femme soudain métamorphose cher regard toujours dérobé
scellé comme un chat qui ronronne
Tes mains à
la hâte s’amusent présent de vivre pour ne rien perdre
ni ailleurs ni trop tard
Le canal automnal s’encanaille d’une étoile de mère
ses courbes à ma rencontre
Vallée de plantes je te vois rire sur tes reins ma lèvre
poursuit sa méditation
Tremblante sur place tes éclairs retournent au jeu séquestrées
entre mes dents tes cuisses
Errent à demi dormant toute la lassitude oh la la cette cascade
de la folie des femmes
Que je ne peux oublier sans regret se quitter se retrouver extrême
intimité de nos caresses
Sonnez fort stupéfiants
par-dessus le mur des questions jamais posées jamais cachées
Il me faudra découvrir au réveil l’entrevue de la
gêne à quelle profondeur l’oubli cruel
Soleil allumé ciel couché villes vaguement parabole nourriture
aux pourceaux
Ou bien dispute simplement avec impatience pour dormir à jeûner
la journée seul
Ou bien ennui tant aimé jours semaines mois ans rayés
de l’avenir que serait-ce la mort
Une chouette obstinée maison vieillie coucou monotone écho
du sommeil par surprise
Yeux éteints
dans le placard cruchon de terre hanté ligne noire qui traîne
au-delà
Le vent remue mon enfance dans ma poche un papier un briquet un chiffon
un chagrin
Que serait la mort sinon des apparences avec art une libération
à fond de train
Loin des mitraillettes des conspirateurs de la chasse du théâtre
du jeu ou bien
Une fois pour toutes débouler dans la bohème et rallier
le coquin sans la moindre colère
Et quitter la table pour déambuler dans l’abîme d’une
antique ironie
Nostalgie inventée
pour s’adonner aux pèlerinages à Lourdes et sur
un registre
Mille ans d’histoire de lettres de factures des cures de centimes
la bagatelle d’une cloche
Fantaisie religieuse qui heurte les verres à pied et de chute
en chute une heure ou deux
Catastrophe de strophes menaces et visites de la vigne vierge accrochée
au déclin du soleil
Et dans un tonneau l’heure de repartir sans la permission de fumer
ni même de pousser
Un soupir sur le temps passé devoir sérénité
au grand air les âmes immortelles
Tandis que Louis XIII
en poudre sans colorant ni conservateur flotte sur le potage
Ô mon amour tes charmes vue la tournure des choses seront bons
pour la guillotine
Rien ne m’étonne et surtout pas le tison de quel mépris
a effacé de ton esprit les temps heureux
Cette main à ta jupe qui chassait la poussière et le col
évasé de ton air frivole faisant
S’ébrouer ton joli visage que je brouillais pour rire en
passant mon doigt sur la buée de la carafe
Ton corsage laissant échapper ce que je devinais de ton cœur
ouvert bordé de roses
Elles fleurissaient
sur ta poitrine ronde et l’horloge qui tourne abolit le vide qui
dit proût à Gide
Et même Proust quand je ne suis pas là est ce cheval immobile
qui change seulement de place
Dans la bibliothèque trop de vent je vous le dis passe inaperçu
il n’y a guère que la guerre
Qui laisse éclater ses bourgeons de marronnier dans la figure
ô les châtaignes de l’existence
Plus que jamais témoignent de la vie sans fard face à
face des règlements de compte
Et pêle-mêle jadis maintenant demain le scandale du silence
avec beaucoup de mal tu le sais bien
Pour demain la mort
du monde dépassé par mes rêves d’angoisse
à l’heure du mauvais café
Drap de prairie sèche couverture en poussière et cendrier
vide ô jeunesse j’ai déjà tant écrit
Pour mieux me comprendre comment l’amour peut égaler en
profondeur cette souffrance
Et le secret des sous pour justifier le secret de la France côte
à côte la république et l’église
Dans la lueur du chœur la chaise vide a ce parfum d’abandon
la paralysie du cœur
Séparée de mon corps ma tête est dans tes mains
et mes pensées sont sorties rôder
Quand donc les oiseaux
cesseront-ils de pleurer dis-moi pose ta plume c’est trop triste
Noël
Même le duvet de ton oreiller a reçu leurs derniers sacrements
arrête arrête arrête ce poisson
Faut-il agoniser pour que la vie nous ménage le plumeau des adieux
courent les caniveaux
Je t’aurais serré dans mes bras quelques heures pencher
ma tête sur ton épaule nord
Est au petit matin du Sphinx dans un tiroir de comptes je te lirais
la poésie qu’il m’arrive
D’écouter attentif à la voix du cèdre qui
hurle dans la cheminée cinq minutes avant le repas
Palombes tourterelles
qui font l’appel quand j’ouvre l’après-midi
joyeusement dévêtu
Aux fleurs sauvages des pénitents gris ils filent et ils défilent
en automobiles il me semble
Ne jamais cesser de les voir j’aurais préféré
ta gaieté soudaine autant que l’ombre évanouie
Autour de ton cou cet inexplicable éclair de ton rire que j’aimais
J’aurais préféré fendre en quatre ces cheveux
sur ma tête et stopper les secondes
Et glacer le soleil j’aurais préféré un lieu
d’improviste à ces courants d’air
Quel contraste ces
deux êtres qui pour paraître aimables se méprisent
absolument
Qui ne trompent que le lorgnon sur l’œil de la pitié
enfin nous ne nous verrons plus
Qu’en retrait des heurts pour nous raconter ce qui a versé
dans l’oubli d’une averse de pleurs
Plus jamais ça le déluge trop heureux de l’aubaine
à jouir d’une guerre au poker
Précipité le dimanche de la dégringolade comme
un idiot spectacle au beau milieu
Des feuilles mortes c’est la dernière fois j’ai pris
congé de l’enfer dans un télégramme
Ne juge personne tout
liquider et déguerpir filer en ville à toute allure aujourd’hui
je suis
L’ami intime d’une plus jeune d’une plus jolie une
demoiselle la grâce même innocente et douce
Dans le salon de sa mère qui la tient sous clef ses beaux yeux
s’imaginent dans un temple
Sans murs tu connais maintenant la guerre des femmes les chiens échappés
de leurs charmes
Je te raconterais un jour le grand voyage dans ses bras désormais
le train est parti
Bien sûr j’ai peur des trajets impossibles et de l’attente
qui s’écoule à réfléchir jusqu’au
bout
Dans un couloir qui
roule plus vite vers la nuit sans toi à la cadence d’un
passé galopant
Ce cauchemar est pour moi le refuge une louve qui rôde dans un
bosquet de craintes
Je bois beaucoup de thé et de désespoir l’eau dévale
en noir et blanc des toits
Et de quelques lanternes magiques emplissant des lacs de larmes qui
sentent bon la bruyère
Les yeux multicolores du spectre des villes font rebrousser chemin à
ma mémoire
Herbes abandonnées à ma tristesse voyage impunément
dans un passé où pendent les morts
Toiles d’araignées
qui retiennent les peines et encore des trains qui rendront leurs comptes
Juste Dieu qui en tient la mesure la vie est si belle en deuil et la
grâce qui chemine au fil de mes larmes
Comme des flammes qui se raniment dans l’eau de la vaisselle
Je ne vis guère que dans un dictionnaire tué que je fus
de ton absence
Il fallait voyager pour vivre il est vrai la longue promesse de la séparation
Et guetter les phrases comme autant de départs à la poursuite
de lendemains pont-levis
Autant de phrases
sans dire adieu ni même penser à cette douleur qui m’embaume
Rouler toujours plus loin dans ces contrées à rallonges
franchir les limites à la découverte
De matins griffonnés à me perdre dans les marges des quatre
coins du monde
Jusqu’au dernier jour sans cesse écrire ces phrases qui
m’accompagnent comme un chemin
De brume paisible croulant sous les bombes des mots monotones que je
tire avec une ficelle
Si j’ai vécu sans toi par ruse la victoire est proche du
réconfort malgré le bain de sang
Les subterfuges pour
oublier l’intolérable la famine des hommes le sac froid
des cœurs fermés
Des frères qui triomphent à tuer leurs frères dans
l’amertume de leurs goûts communs
Tant de frontières pour se rejoindre et de barbelés pour
se retrouver et les pensées qui buttent
Des deux côtés de l’autre obstinément tuer
enfants éternité visages villes idées amours usines
Éclater grêler brûler bombarder chairs songes forêts
sommeils éternité achever forces bouches
Tapir froid inquiétudes faim rages bredouiller sourires prières
certitudes éternité propos
Et se demander parfois
si le salut est possible dans l’intensité des agonies à
croupir sur cette terre
Jusqu’aux derniers temps de notre vie la naïveté de
ce fréquent vertige j’ai mal à la nuque
J’ai mal entre les tempes de droite à gauche ces visions
dans leur boîte mots mécaniques
Remèdes vomis hors de cette armoire crânienne mots qui
pleuvent à verse sur le papier
Laissant le vide intact devant l’égouttement de la solitude
au milieu des chiens et des arbres morts
J’ai mal entre les tempes là où s’engouffre
la mémoire à peine y reste-t-il quelques exhalaisons
Une odeur délicieuse
des pensées un peu folles d’une vie qui prolonge le cours
d’une autre vie
A suivre le ruisseau d’une innocence diaphane en éprouvant
avec étonnement
De l’amour pour une autre sirène les yeux à nouveau
dénoués par un ange aux longs cils
Autre sirène autre scène sans que rien n’efface
l’insinuant néant son intervalle son vestibule
Sans que rien n’arrête la geste de la vie et de la mort
je reçois en plein cœur
La fraîcheur ce soir d’une tendresse que je devine sur les
vestiges de souvenirs doux et lourds.
janvier 2005