Dada-Machine
J’ai dit la naissance d’un organisme nouveau, une parenthèse imprévue, pour que chancelle le monde, et ceux-là même qui le dénoncent et ceux-là même qui n’en soupçonnent rien. Pourquoi certains se désespèrent-ils et maudissent-ils le corps social tout en levant des boucliers contre Dada ? Que Dieu pacifique dans un bois de cocotiers me pardonne ! Mais Dada nous conte son aventure. Qu’il pourvoit à ses besoins, qu’il construit des dadiaiseries avec des fibres de vérité. Puisque je suis un sympathique naïf, je ne songe pas à réhabiliter Dada. Comprenez-moi : Dada vous l’enfonce de partout, à votre insu, et de plus en plus profondément. Qui condamne Dada par téléphone, qu’il se serve de ses jumelles pour voir l’abcès du cerveau dont il souffre. Qu’il soit trépané le lendemain matin avec la chaise électrique ! Une crise d’appendicite n’est certainement pas un accouchement. Personne ne veut entendre parler de Dada ? Qu’importe ! Dada prétend interdire les armes en dehors de son usage personnel ! Les excès qu’on reproche à Dada ne sont cependant que l’apparence imposée de sa puissance. L’histoire entière est l’histoire de ses excès. Par exemple, Dada demande à couper la langue aux ministres, à réédifier le bûcher, la roue, la potence et le pilori pour une moisson spontanée de tous les instruments de domination et d’oppression inventés contre l’homme : l’écriture sainte, le silex ou le cheval sont pires que les excès du poète qui prouve combien certains langages, certaines articulations de l’ordre et des combats, peuvent maintenir dans l’esclavage. Technique, Science et Culte entretiennent aussi, en maintes mesures les drames et les luttes, le règne des épidémies et des famines, tuent ou mutilent par des moyens perfectionnés, des millions de jeunes gens, nés d’un excès de lait, certes. Cette sainte trinité a élevé le marais au niveau de la vie humaine, au nom de l’amour et du bien-être. Dada détruit et crée ce qui détruit et ce qui crée, c’est la vie ! Dada ressemble à quelque chose dans le genre du dieu Shiva. Dada est un dieu électrique, un ogre d’acier à votre insu qui dévore vos sensations et vos idées. Dada force la main aux mots. Parlons sérieusement. Contre Dada c’est Dada qui se renie ! Pour construire Dada, le cerveau est superflu, car Dada marche tout seul. Ô miracle de l’automatisme, du ressort vagabond, de l’essor délicieux, du sensuel ajustage, des fées aériennes, des flots érotiques et solaires ! Dada Membre d’Acier broie et tranche et foudroie les âmes. Étincelles d’acier à l’effort exténuant de sa manœuvre qui font couler les siècles et les fleuves de sang. Dada n’oppose aucune espérance contre la misère. Dada se garde des mirages comme de l’immortalité, de la liberté ou de la tourbe de l’industrie. Dada est une aristocratie militaire qui menace la civilisation ! Il semble que Dada, soit une machine rebelle comme le furent avant les créateurs de cette machine universelle et exclusive. Dada s’apparente à un monstre. Dada lui-même est esprit. Dada prépare sa défense en réponse à ses propres objections. Il y a méconnaissance incroyable du processus intellectuel qui a déterminé Dada, et sans lequel Dada ne serait pas. À l’apparition de la raison sanglante, Dada fit jaillir l’innocuité de tout l’édifice social, son l’esprit, sa technique, sa science, sa méthode, ses intermédiaires, son catholicisme, son organisation, son administration, sa justice, sa morale, ses peuples, ses philosophes, ses artistes et ses théologiens. Il faut se garder de perdre de vue l’extrême onction au chevet du christianisme anéanti. Dada paraît tout anéantir pour une autre réalité jusqu’à anéantir l’amour envers les pauvres que le christianisme professe dans les béatitudes, et cette réalité, quasi insurrectionnelle n’est pas dirigée contre Dada. Dada désunit. Dada désolidarise. Dada échange un pauvre contre du pain et du vin. Il n’est donc pas surprenant que des guerres intronisent le processus automatique du faux et du malhonnête quand des hommes souffrent de la faim. Le grand corps mondial est un corps d’obédience privée et artificielle que Dada tend justement à supprimer. Dada brûle le blé, les livres, les moutons, les porcs et les légumes. Dada n’habite que dans le ciel. Dada est une escroquerie transcendante. Qui reproche à Dada l’automatisme pur se doit de refuser la messe, la confession, les sacrements, la règle, la prière, mais aussi la santé par le travail et ne consent plus à maintenir les mœurs, se moque bien de la liberté, doute du verbe, de l’écriture, de la mathématique, des rituels, etc. En fait, le verbe est Dada et il serait absurde de renoncer à Dada. Dada réintroduit en nous, l’idée Révolution. Dada danse la gymnastique d’un régiment en cadence dans les ténèbres du subconscient. Trop dangereux pour être détourné, Dada tend de plus en plus à tout remplacer. Dada si honni accule, grâce à son arbitraire cours historique, toute interprétation en devenir. Ai-je besoin de rappeler que Dada nous réapprend à dormir ? Que Dada peut rendre aux arbres le goût des chuchotements et nous révèle l’ourlet de l’univers sur un pli de vivant et de mort ? Ai-je besoin d’évoquer Dada si impérieux que nul n’échappe à son secret coup d’état ? Connaissez-vous quelque chose dont les plans soient plus mystérieux que les siens ? Ou qui sache mieux mentir que Dada ? Dada n’est-il pas un temple dont les colonnes ont leurs assises dans le subconscient de vos déterminations ? Source du lyrisme, jeu des nombres, quadrature du cercle, humble pierre enchâssée dans les nervures du cœur, symbole du chant nouveau des usines, ballet féerique de vos esprits évanouis, de vos éclairs téléphoniques : écoutez montant dans la nuit la rumeur énorme de Dada. Comprenez son infatigable saillie, son Himalaya au clair de lune comme la Cordillère en sable de vos peines. Vos manœuvres qui creusèrent les gouffres entraînant les âmes dans la vertigineuse indifférence, c’est Dada aux grandes ailes, à l’intuition sans limites, aux affirmations sans aucun répit. Remarquez-le : Dada agit, avec un calme imperturbable. Sa cruauté morale est le signe de sa pureté. J’insiste sur ce dernier mot. Dada seul est pur. Dada représente, dans l’incohérence universelle, l’ordre perdu de l’intelligence. C’est pourquoi Dada soulève tant de haine. En
tous lieux, en toute occasion, Dada est vrai. Au sens étymologique
du mot, Dada est l’impossible démonstration, l’absurde
évidence, le sens universel de la vérité incontestable,
logique et en quelque sorte spontanée, de la réalité
imprévue qui sommeille dans les subconscients comme la richesse
qui sans cesse affleure à la surface lumineuse de votre esprit
: celle de vos intuitions. Pour la première fois, les ennemis de
Dada, le maudissant, se tournent en réalité contre eux-mêmes. Dada enfant qu’on prit pour son cadavre s’élève au-dessus de la mort, confiant en son destin. Dada versera le plomb fondu et l’huile bouillante sur la pourriture morale autant qu’il tirera à la mitrailleuse sur les espoirs équivoques et périssables. Dada ! Dada ! Dada ! Dada ! Dada ! Dada ! Dada ! Dada ! Dada ! Dada est enraciné au cœur des engrenages plastiques, sociaux, moraux et musicaux pour y révéler son machinisme de lumière, d’acier et de flammes. Douter de Dada, c’est se priver d’âme. Que
leur faut-il pour inventer, imaginer, controverser, se révolter,
combattre les fantômes, faire des expériences, agir en tous
les coins du cosmos, parler de la vie, comprendre les esprits, entrechoquer
les idées, multiplier les éclairs, les sentiments et les
faits dans un foisonnement d’étincelles ? Un seul moyen,
précisément : Dada. juillet 2005
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