Spirifeste de l'Imaginant
INTRODUCTION
Je
vais tenter de comprendre comment chaque forme d’elle-même
détruit l’autre et ce livre se référera à
la psychose du mariage entre un manuscrit et de nombreux textes, à
la recherche d’une matière psychologique achevée.
Ce livre, sans toutefois subir un trop plein de cohérences, demeurera
une tentative pour dérouter le lecteur par l’usage de fantasmes
au point critique où leur emploi posera des énigmes qui
ne pourront être résolues que grâce au traçage
de leurs esquisses, de leurs projections, des relations d’idées,
suggérant plutôt que clarifier, afin de, selon moi, doubler
les contenus – les champs pulsionnels où sont conçus
les désirs – d’en doubler les usages et les lieux
implicites nommés images de nos inconscients.
I
– A –
Je
parlerai d’un lieu nommé mémoire, sommairement
rêve de la réalité. L’imagination d’une
telle expérience est-elle ? Si elle l’est, l’est-elle
d’une soustraction, d’une addition, d’une division
ou d’un produit ? La thèse formulée de la façon
précédente, n’est pas possible à poser ni
prouvable quels qu’en soient l’immersion ou les surgeons
existentiels. Quels qu’en soient les phénomènes,
tout point de vue ne peut qu’ignorer par la spécificité
de son étude la globalité des phénomènes
ce qui soulève, d’ailleurs, une infinité de lucioles,
nommés concepts et que je déclare fantasmagorie d’une
connaissance en l’étant clos.
La
nature elle-même ne peut servir pour nos expériences de
référence sinon elle bâtirait des murs à
nos théories et à nos expériences, en quelque sorte
une prison fantasmée qui, en considération de cette position
« circonférencielle », s’accepterait trop souvent
comme une immanence indépassable.
Des
séries de faits reliées à d’autres
séries de faits : voici l’illustration de mon propos sur
l’enchaînement des fantasmes. Le concept de pensée
est l’extension explicite des faits désignés. Les
idées s’y développent comme des champs pulsionnels
qui représentent les/ressemblent aux corps. Qu’elles
soient libidinales, elles élaborent les désirs ; qu’elles
soient destructrices, elles élaborent l’angoisse ; et ces
deux courants se développent selon un processus qui les enlacent
et semblent l’expression de toute expérience. Ainsi, de
l’idée au mot, par introjection hallucinatoire, la pensée
prend forme, devient plasticité. Devenu forme, le psychisme se
convertit en personne, avec caractère et névrose. À
la fois la personne est inhibée en l’expansion
de sa qualité – puisque ne pouvant trouver sa libération
qu’en la sublimation mécanique d’un moi à
la dérive –, et cependant prisonnier de/retenu par
des motions abstraites telles que la mort ou l’origine. La foi
en cette dernière ne provient que dans la réduction du
monde à une plasticité de la pensée, par les concordances
heureuses que toute connaissance réduite au champ de ses expériences
entretient avec l’évanescence intuitive qu’elle porte
sur l’inconnaissable, et dans l’observation confondue avec
l’apprentissage de son illusion. Il en découle alors une
véritable épidémie de fantasmes qui conduit ainsi
les êtres spécifiquement différents, donc uniques,
à se plier sous la domination d’une réalité
interagissant avec leurs désirs et leurs angoisses sélectionnés
expressément au sein d’un domaine de faits que les êtres
croient leur, mais qui, pourtant et déductivement, se situe autre
part.
Qu’est-ce
que cela signifie concrètement pour chacun ? Qu’il ne voit
rien en lui sinon cet autre, ce fantasme vécu par autrui, non
accessible par l’entendement, une représentation dramatique
déduite de sa globalité. Et la confusion née d’une
telle situation le détermine en un point où il se trouve
réduit à des comportements, à une concrétion,
tandis qu’il est tout ailleurs, partout ailleurs et d’un
âge sans âge.
Toute
idée, d’autre part, se fonde sur une somme de déductions
ce qui pourrait revenir à dire qu’elle soit le résultat
d’une observation sur un ensemble de faits observables soustrait
d’un ensemble (encore qu’il resterait à prouver qu’on
puisse le définir comme ensemble !) inobservable.
En
déduire sur l’être, qu’il serait un distillateur
analytique généré de lui-même mais provenant
aussi d’une introjection verbale/mentale (logique
?) parce que semblant jaillir de l’expérience/la persuasion
dont les autres (la famille, l’étranger, le groupe, les
regards et les pensées des autres) réalisent/usent
sur lui, nous n’aurions plus d’autres choix que d’affirmer
une interpénétration psychique de l’inconscient
personnel avec ceux d’autrui, que de s’en référer
pour chacun à un autre multiple, que de déclarer la position
d’une personne ne concerner que les autres, lieu en lequel chacun
se trouve ignorant sur lui-même, et même n’en pouvant
rien savoir/trouver lui appartenir et, d’après
ces prémisses, duquel chacun est extérieur à lui-même
quelles que soient ses attitudes et ses intuitions, c’est-à-dire,
entièrement autre. Cela implique que chacun serait aveugle
s’il désignait ses propres structures et ses propres fonctions,
mécanismes et processus pour expliquer ses actes puisque ces
concepts se situeraient en dehors du champ de sa propre expérience.
Ainsi l’origine autour de laquelle tout s’échafaude
partant de déductions incomplètes voire inexactes, signifie
pour chacun uniquement ce qu’il ignore tandis que chaque
autre peut prétendre en comprendre l’infime partie
(car il serait une absurdité d’affirmer qu’un seul
autre puisse se réclamer de comprendre tout sur chacun). Quel
usage alors faire de soi sinon un corollaire mental, un représentant
observable et interprétable du désir d’autrui, spécifiquement
mangeable et buvable par la manifestation des êtres et des
choses ?
– B –
Est-ce
parler de moi dans ces termes de quelqu’un si je ne suis qu’une
partie du tout de tout être et de toute chose, et si mon propre
corps est l’addition des parties du corps de tous les autres ?
Mon réel n’est-il pas irréel ainsi partagé
? Alors les désirs qui se présentent à moi ne seraient
pas les miens. Je comprends mieux pourquoi je ne peux pas les reconnaître,
ni entièrement les satisfaire mais aussi, les interprétant
mal, pourquoi me présentant tellement de difficultés insurmontables,
qu’à leur rencontre je m’expose sous cette cristallisation
corporelle dans une fiction devenue sinon complètement véritable,
à tout le moins vraisemblable.
Le
monde, je le désigne à cette suite, effets de mon expérience
et causes de mon intuition et l’ensemble de ces effets et de ces
causes (à cheval dans cet espace dichotomique) fusion de ma confusion.
Prenant mon corps pour origine engendre son opposé psychique,
une classification qui cloisonne intérieur en opposition avec
l’extérieur. Ce qui n’était que supposition
et expérience devint par cette translation bizarre le domaine
d’une réalité corporelle en laquelle mon esprit
s’est enchevêtré, capté dans les fissures
de mon corps et utilisé aux fins d’exprimer l’artifice
de toute théorie qui la nierait. Me sentant contenu, je m’affirmais
corps étranger de tout, au dehors, et ma pensée qui fit
les idées des mots pour résoudre le problème de
l’imaginaire s’abandonna dans la dérive proprement
dite des problèmes phénoméniques déguisés
par les mots.
– C –
Ce
qui va au delà commence-t-il nécessairement quelque
chose ? Quant à savoir si cette chose est évidente,
n’est-ce point à dire qu’elle vide littéralement
tout autre espèce de sens ? Lorsque j’utilise le mot réalité,
ensemble des choses évidentes, n’est-ce point évoquer
par contrecoup un vide validé 1° par mon expérience
2° par sa qualité intrinsèque 3° par le sens commun
qui la juge comme telle, évidente, c’est-à-dire
qui la distingue du rêve grâce à des critères
de perception qui renverraient l’imagination et le rêve
à différents modes, dans des casiers n’ayant rien
à voir avec l’état de veille ? Or vice versa, à
mon avis, je considère la frontière qui engendre sommairement
cette distinction comme un supposé de soi, arbitraire par lequel
on désigne une prison en laquelle tout nous semblerait issu et
qu’il faudra bien (pour dépasser la psychogénie
de groupe et ses pathologies afférentes) que chacun en reconnaisse
l’origine singulière et, d’une manière nouvelle,
utilise ce postulat qu’un tel mécanisme ne peut donner
aucune explication en dehors du champ de son expérience et qu’il
lui est impossible à contenir l’ensemble des faits inexplicables
mais seulement de nous donner la possibilité d’en trouver
l’issue. À décrire la réalité, on
ne décrit rien d’autre que la justification d’une
invention qui exclut le rêve de l’ensemble expérimental
et insondable de l’imagination. Attribuer le nom de réalité
à la seule interprétation de ce qui est accessible non
seulement réduit l’expérience dans les limites de
la connaissance mais la validité qui en découle outrepasse
gravement le pouvoir qu’on lui infère en la posant comme
garantie et force du vécu.
À
mon sens, il importe peu que vous soyez d’accord sur ce fait,
que vous conveniez sur la façon dont je vis mes rêves,
d’autant que les choses se compliquent lorsque je vous explique
que rêve et réalité, pour autant que je sache, appartiennent
à un ensemble théorique et pratique du monde imaginaire.
Ne cherchant pas à tirer de conclusions, je rends compte simplement
d’une expérience qui met en doute toute affirmation prématurée
et auréolée du seing de réalité. Ne comprenez-vous
pas que je ne suis pas que le fruit de votre expérience, tout
à l’investigation dont je me charge sur vos mobiles et
vos initiations, je suis aussi l’ensemble de vos vies qui vous
absorbe sans vous épuiser, le qui de votre quoi, votre comment
en écho, votre pourquoi prospectif et votre quand au-dessus de
chacun de vos instants ?
Je
ne fais pas de science naturelle et me soucie peu à découvrir
une méthode duquel mon sentiment nébuleux serait exclu
puisque peu probable. Comment vous apprendrai-je quelque chose en vous
dissimulant les raisons de ma pensée ? Celle-ci tire de l’impossible
sa logique car elle désire accéder immédiatement
à un autre monde où l’on peut voir sans les yeux
et entendre sans les oreilles. Il ne suffit pas de parcourir la surface
de la terre pour sentir, ressentir et pressentir le présent et
apporter sur lui quelques réserves, et hasarder sur vous quelques
fulgurances. J’ai depuis longtemps cesser d’entrer et de
sortir d’un monde qui n’a, de fait, ni dedans ni dehors
et je désavoue les concepts chimériques qui sous-tendent
les notions de vie et de mort, régulateurs économiques
gouvernant vos structures mentales sans que vous puissiez posséder,
en eux, toutefois le savoir. Nous vivons une situation qui est des pires
puisqu’elle ne l’est pas, puisque doublement imaginaire
1° par votre manière d’agir selon des conventions
(autant dire avec le vent) 2° par votre vision d’un
arbre sans deviner la forêt. Et si cependant la théorie
de la réalité repose sur la validité abusive du
vrai et du faux, tout ce qui a été construit sur elle,
en défrichant, perdra sa raison d’être.
Tout aussi bien, ce qui a été échafaudé
autour de la notion de fin et de commencement sera détruite par
votre conception inoculée même de l’éternité.
Car qu’est-ce qui pourrait être éternel qui se fonde
sur une origine ? Mon esprit de contradiction a ses limites et ne se
satisfait pas uniquement de vider l’eau de votre bain en m’imaginant
faire pipi. Il se peut que je communique ce qui est impossible à
dire. Dans ce cas, apprêtons à communiquer imparfaitement
avec nous-mêmes plutôt qu’à nous ennuyer dans
ces conversations parfaitement insupportables. Imaginons faire l’amour
débarrassés de nos présences tandis que nos têtes
se videront jusqu’à oublier l’oubli (réalité
du rêve), et ainsi effacer de la mémoire ce présent,
vecteur dynamique de mort et morbide véhicule des souvenirs.
II
Je
pense que je suis, en quelque sorte, en même temps, sans
y être convié, sans permission, à l’intérieur
des gens qui me considèrent. Je ressens la douleur de leur maladie
mentale. Il m’arrive aussi de rencontrer des gens disposés
à me faire éprouver leur douleur physique. Voici diverses
sortes du commun partagé sans distinction de temps et de lieu.
Je fais allusion à l’expérience du « je »
hypothétique qui englobe tout sauf lui-même et qui suppose
le tout comme totalité des êtres et des choses ; en ce
sens, le « je » suis sa voie hallucinatoire en nous et
hors de nous. Éprouver la douleur de l’autre, penser ce
que pense quelqu’un d’autre ne sont que des manifestations
de ce « je » qui recouvre les morceaux de son corps entier
(non exclusivement physique) comme autant de miroirs qui en estompent
l’absence. Ainsi je suis vous et vous êtes moi et, par conséquent,
le nous est l’interpénétration des « je »,
cette chose publique incommunicable, sans restriction ni réserve,
de laquelle les choses privées ne rapportent qu’un témoignage.
Mon fiel et mes aigreurs sont les signes de l’autre empli de maléfices
et mon ulcère à l’âme provient des milliers
d’électrochocs à subir son goût de la mort
branchée sur le secteur de sa folie. Le monde devient aussi l’abîme
au fond des yeux de tous, une douce tristesse d’herbes étranges
qui traversent les cieux, un impossible lieu de rencontres et de circonstances
rempli autant d’yeux qu’il s’agirait de constellations
défuntes. L’ironie de la chose révèle qu’être
humain se joue dans le fantasme des autres, en ayant la clairvoyance
au travers de leurs existences. Alors, à cet effet, pour sortir
des liens de servitudes, il faut, pour chacun, se dégager de
cette réalité par lequel chacun paralysé/centré
perd son identité propre. Cette situation intenable obligera
chacun à sortir du groupe et de son fantasme social. Sans requérir
à cette condition, nous nous croyons vivants mais nous sommes
comme morts, nous croyons êtres éveillés mais nous
sommes aveugles et sourds et ce que nous appelons « bonne santé
» s’emplit des signes mortels de notre démence.
Nous
nous croyons corps et nous sommes illusions dont la substance sur laquelle
porte cette erreur n’en laisse apparaître qu’une ombre.
Toutes les disciplines scientifiques participent à cette aliénation,
fantasmes elles-mêmes, ses témoignages et ses confirmations.
Et si vous me donnez tort c’est que j’ai raison, prouvant
en cela votre incapacité à m’éprouver, à
vous attribuer ma clairvoyance. Le poison de l’espace social s’alimente
de votre cerveau et, par l’entremise de la famille, les délusions
y prospèrent, géométriquement variables selon l’empressement
à supposer ses désirs vôtres. Ah ! si je suis en
dehors de moi, vous me jugez fou, à n’en pas douter, quoi
que soit la somme des mensonges qui ont fondé votre monde. Vous
traitez de fous ceux qui ne le supportent pas, pas plus que vos apparences
enfermées dans leurs habits ne supportent la nudité ordinaire.
Vous punissez les innocents et vous justifiez les méchants. Mais
ce monde est intenable, inconciliable avec l’innocence, justement,
qui ne peut habiter en vous, qu’il lui faudrait aller ailleurs.
Mais dans l’impossibilité de rester, vous l’empêcher
aussi de sortir. Le monde est devenu une cage autour de l’abîme
ou le moindre accord prend forme d’obligation et de devoir. Du
relatif à l’absolu, votre absolument tort dont
vous vous faites une raison cherche à détruire
l’innocence, lui enfonçant de psychologiques épingles,
jusqu’à déclarer la lobotomie « enchanteresse
», préférant le froid à l’enfer souhaitable
vers lequel les innocents vous précipitent, vous tourmentent
comme des bêtes sauvages. Ces innocents, justement, vous fuyant
ne dévoilent-ils pas votre peur et votre épouvante ? Telle
qu’elle se présente, la civilisation psychiatrique perpétue
la spirale de votre terreur appliquée à la censure et,
conformément à sa cruauté, il s’y joue la
comédie ordinaire d’un semblant de « contrat social
» disposer à poursuivre le fond de toute pensée
avec sa milice de guérisseurs patentés.