Les Inattendus

par Didier Somvongs

avant-propos

1. Parle au sénat, parle à l’assemblée, parle en philosophe mais, ce faisant, parle au peuple.

2. Il est nettement plus difficile d’exprimer au peuple clairement ses idées que de lui produire une richesse oratoire et philosophique.

3. L’éloquence vient de l’audace à parler des lieux communs tels que la vie, la mort et l’amour.

4. Ce qui s’oppose à l’opinion commune souvent est bien près de la vérité.

5. A la lueur des nuits courtes et des veilles, ce travail a le mérite simplement de faire paraître la lumière [qui n’est pas seulement celle du jour].

Premier Inattendu

6. Je ne crains de puiser ni en Socrate ni en Cicéron. La cupidité ne provient jamais du désir, mais de la crainte.

7. Je suis en désaccord avec la sagesse des gens malhonnêtes.

8. Vous ne perdez rien à perdre la sagesse que vous ne possédez pas, surtout à louer celle des sages [vos ennemis] qui s’en emparent et emportent jusqu’à la porte même qui vous appartient.

9. Qu’est-ce que le bien ? Ni jouet, ni objet, le bien ne peut se posséder.

10. Les vérités des grands hommes ne semblent que des subtilités pour fonder le règne de la cupidité et les justifications à leurs voluptés.

11. Voulez-vous la révolution ? Pour vous libérer ? Pour monter au ciel ? Tous les motifs sont semblables lorsque c’est pour respirer.

12. Pour vous libérer, vous devez être homme et femme hors du commun.

13. Ceux qui tournent mon discours en dérision, ne sont pas seulement les gens qui regorgent d’ivoire et d’or, de statues et de tableaux, de bijoux et d’argent. Il y a tous ceux qui n’ont rien mais qui les envient.

14. Nous pouvons considérer l’homme pareil à un quadrupède si le bien qu’il possède ne le rend pas meilleur.

15. Se glorifier, se louer et s’enorgueillir : à cela, reconnaissez les hommes qui se disent d’importance mais qui ne le sont que de leurs dérèglements et du déshonneur de leur esprit.

Second Inattendu

16. Prisonnier de son corps est le comble du malheur : la mort étant cette circonstance heureuse et cette faveur qui libère tout mortel !

17. En toi la source de ton unique bien. Ton but ne dépend pas d’être né un jour. La mort ou l’exil ne les refuse pas, ne fait rien pour les combattre. Avec ou sans interrogation, tu aboutiras au même résultat : rien ne réduit le néant et les outrages de tes ennemis le rejoindront aussi.

18. La vie ne peut mourir. La terre entière et toutes ses misères, et tous les ennuis qui te pressent, disparaîtront. La mort qui viendra à ta rencontre sera cet instant de ta vie qui te permettra de respirer librement.

19. Voilà pourquoi, en vérité, la vie est digne à vivre et la mort indigne à fuir. La mort est l’étoile qui doit apparaître comme brillante et désirable car elle permet de fuir les malheurs de la vie.

Troisième Inattendu

20. Ce n’est pas la gravité terrestre qui mène au naufrage un bateau mais elle y contribue, l’or ou la paille dont il est chargé déterminant simplement la vitesse à laquelle le bateau coule. Quant à l’incompétence du pilote, elle est toujours issue de l’armateur qui emploie le pilote ou du passager qui confie à ce dernier sa vie.

21. Il est nécessaire et très facile de voir qu’un homme meilleur n’est pas obligatoirement un homme bon. Sage un jour peut être fou le lendemain.

22. Une vie : si rien ne peut s’y ajouter rien ne peut s’en retrancher.

23. Les sages sont en paroles ce que les savants sont avec leurs poings ; égales, leurs pensées sont un délit que les magistrats introduisent à leur débauche dans la souillure du dérèglement de leur justice.

24. Il n’y a donc pas de différence entre tuer et être tué ? Non, nul ne peut prendre la vie, mais celui qui commet ce crime agit comme s’il se tuait.

25. Le meurtre est plus qu’une atteinte à la vie : il engendre et nourrit le châtiment.

26. Votre vie doit être en n’importe quel de vos gestes, en n’importe quelle bagatelle de vos doigts. Elle est dans vos troubles autant qu’en vos certitudes.

Quatrième Inattendu

27. En vérité, insensée, l’âme du sage derrière ses remparts, méprise la vérité de l’être. En effet qu’est-ce que la vérité ? Est-ce une idée féroce ? Est-ce une idée fugitive ? Sa vérité n’existe donc pas, et ses lois n’ont aucune valeur. Ainsi, les tribunaux seront plus bas que terre et les coutumes ancestrales anéanties, tant qu’une vérité s’affirmera par la force au service de son crime et de sa folie. La vérité est l’ensemble de toutes les vérités et de tous les mensonges.

28. Ainsi, je n’ai pas chassé la vérité qui n’existait pas mais une vérité qui n’existera plus ; je n’ai pas pu abattre une justice qui auparavant avait été anéantie. Au peuple, en rappel à la mémoire de la justice ciment des hommes, j’ai méprisé les basses besognes qui l’ont outragée, basses comme abominables ; la justice n’a pas été atteinte, ce sont les juges qui, pensant pouvoir la ruiner, ont démoli les murs de leurs propres maisons.

29. Je ne possède rien, sinon mon âme et, ainsi, rien ne peut me ruiner. Bien mieux encore, si certains pensent pouvoir le faire, ils se feront chacun à la fois ennemi de leur naissance et bûcheron contre leur âme.

30. Ils tiennent des forums, ils bâtissent des temples, des domiciles privés et des monuments sacrés, ils payent des brigands en armes en quoi ils sont ennemis de la vérité. Et je leur attribue le nom qui leur revient : Fils de l’Insensé.

31. Criminels et impies sont ceux qui se proclament chefs. Leurs lois veules qui frappent et qui condamnent sont des poignards qui les tueront. Eux qui provoquent l’incendie brûleront dans la sécheresse de leurs cœurs comme des arbres morts au milieu du désert.

32. Mais à quoi bon rappeler ces lois ? Car dans le Mystère des mystères nul ne les emportera. Il est un lieu où elles ne pourront s’y trouver et non plus ceux qui les ont faites et non plus ceux qui les ont soutenues.

Cinquième Inattendu

33. Cicéron a rappelé « que personne, le sage mis à part, n’est libre. » Peut-être se croyait-il sage à louer le mérite des généraux ? Dans la souillure de sa dignité, il oublia sans nul doute que tous les maîtres, le poète mis à part, sont malhonnêtes. Et Cicéron d'affirmer : « comme le dit un sage poète, ‘le sort est pour chaque homme le résultat de sa façon de vivre.’ » Ainsi, Cicéron, mourut-il assassiné.

34. La liberté n’obéit pas aux lois ni par crainte ni par devoir. Il est éminemment salutaire, de tout dire et de tout faire pour libérer le sort de chaque homme, pour que s’évanouissent la souffrance et la contrainte, qu’elles proviennent des sages ou des généraux.

35. L’esclavage [le travail] est la soumission des maîtres et des esclaves à ce droit civil. Les gens inconsistants ou privés de jugement qui se payent de mots pour contourner les propos ci-dessus seront anéantis.

36. Celui qui commande, qui impose, qui dicte sa loi, qui ordonne et qui interdit, devra demander, donner, appeler et venir. Qui chasse devra partir. Qui menace devra trembler. En vérité, ceux qui tombent sous le charme du pouvoir seront impuissants.

37. Dans une maison, on essuie, on frotte, on nettoie ces choses qui sont les signes de l’esclavage d’un point de vue domestique.

38. [La beauté est la seule chaîne qui me passionne et qu’importe le mépris du sage éminent et du religieux zélé ! J’aimerais que revive Marilyn Monroe ! Ô ! La palper et me faire dévorer par cette murène ! Quelle importance ? Quand on aime, on n’a peur ni du ridicule ni d’être damné !]

39. L’homme libre ne guette pas l’espoir. Il n’attend pas que poussent les signes. Il agit pour libérer les enfants de la déraison des vieillards.

40. Eh bien ! Tant d’honneurs rendus au pouvoir, tant de dignité conférée à l’administration, tant de cadeaux et de prières ! L’État est un maître cruel ! Il maintient les rênes de l’information, et ses juges maintiennent sa domination [sa domination est ma sodomisation] !

41. Que valent ces sages qui nous rendent la liberté ? Ne sont-ils pas esclaves de leur sagesse ? Ce que je peux être, moi, nul ne peut me le dicter. Mais cela suffit sur ce point. Il pourrait être vrai de se convaincre de liberté.

Sixième Inattendu

42. Suppose que tu sois pauvre et ne souhaite rien de plus.

43. L’âme que tu possèdes est ta vraie richesse. Si tu le penses tu es comblé.

44. La richesse de ton âme se trouve dans le vide de ton être mais une fille qui t’épuise ne te fera jamais riche.

45. Les riches sont légions et voilà pourquoi je ne ferai pas mystère sur les légions de pauvres et d’indigents.

46. Chercher de l’argent, commercer, entreprendre et, de la même façon, manigancer pour corrompre la justice, pour ruiner et piller les humains, pour faire travailler les autres comme des esclaves [des clients], pour payer les meurtres au temps des moissons [des guerres]. Chercher de l’argent veut dire trafiquer et transformer les paroles en silences [chacun se taisant de honte ou sous la menace]. Pourtant n’est pas riche celui qui dépend de l’argent.

47. C’est un fait que la rumeur ne parle pas de moi. Et, puisque elle me méprise, je la nierai car elle ne naît pas de ma réalité.

48. Donné, l’argent repousse l’argent. Comme l’or réplique à l’origine, l’art réplique à l’argent. L’homme vrai est sa seule vertu.

49. Celui qui convoite sans fin dépend de ses passions.

50. L’erreur de ce siècle est de parler encore des pauvres comme de ceux qui ne possèdent rien alors que ce sont les riches comme possesseurs de tout qui sont réellement pauvres.

51. La vertu du désir ? Seuls sont riches ceux qui en sont pourvus.

52. En effet le désir est éternel. Il est l’expansion du vide, non pas cette envie méchante et avide fondée sur un monde abondamment pourvus de riches et de pauvres.

janvier 2005