Aime rôde
par René Hervieu
La poésie ne s'improvise pas sous le galop cadencé
des chevaux
Elle s'impose comme les mains
La poésie ne rôde pas sous les ponts obscurs des nuits
sans lune
elle s'infiltre
invisible perfusion secrète
elle s'arroge le droit de circulation du sang
et prend corps par surprise
sans se soucier des aciéries
ni des ossements astucieusement assemblés en carnage
La poésie se fait dans un livre
ouvert près d'un ruisseau où les corps se délient
où les yeux se dénouent
hors des traces orbitales
auxquelles est confiée la durée de vivre
Elle se réifie dans l'attente
aux marges inattendues qu'un fil rouge inscrit sur la peau
La poésie ne se développe pas aux étalages
chatoyants
que les rues agglutinent
Elle ne se nourrit pas des sanglants ersatz
donnés en pâture sur le sable des arènes
Elle coule
dans les artères marines
dans les replis cuivrés du souffle
dans l'arc assoupi du désir qui s'affûte pour l'incandescence
elle rampe
loin des magazines et des fumées
dans la chevelure fluide vouée aux miroirs
dans la trace sifflante du serpentaire enlaçant l'amazone
Elle exulte
adossée au tremblement amoureux
Elle crépite
résurgence du déclin de l'âme
fragrance d'un vélin de flamme
cendre brûlée livrée aux vents et aux marées
Elle s'abîme
dans le sillage du tigre
et dans le feulement du rocher
elle s'épure
en cascade de frênes
en éclisse
dans le noir des ballasts
qui rougeoient sous les trains de nuit
elle gravite en suspension entre sueur et cosmos
clignant des yeux au centre d'inconnues constellations
dont je ferai mon rivage
grandeur nature
quand tu viendras