De l'Art comme Cure-Pipe pour les Sourds
par Jacques Deschamps
L'art
a parfois la configuration d'une machine à traire, d'une araignée
octopode (ses extrémités sont munies de suceurs). Elle quête
la proie ; la proie qu'elle espère, résolvera, conduira
vers la conglutination - opération lente et douloureuse.
En
recueillr les sécrétions, voilà toute l'affaire !
Vêtu d'un frac de cérémonie, l'opérateur se
munit d'un dégorgeoir et d'une petite lime-speculum dite queue-de-rat,
à l'aide de laquelle il repousse et maintient l'opercule de façon
à placer le dégorgeoir dans l'orifice (relief en saillie
affectant la forme d'un prisme triangulaire) de telle manière qu'il
en suinte un liquide, sombre et visqueux, d'une texture rappelant le goudron
de houille.
Une
grande partie de la création est réalisée à
partir de ces égouttures.
Je
dirais maintenant le sphéroïde, la boule, la gobille. Je veux
parler de la machine à cracher dans la soupe. Une fureur l'habite,
une incandescence, un brûle-gueule incantatoire. Elle déboule,
débagoule, débalourde, décape, déglue, déboulonne,
démystifie, déniaise ; elle ne dérage jamais.
A fourrager à même le vivant elle provoque la stupeur. Ses
fulgurences désespèrent les cimaises, détraquent
les orgues à rémoulade, l'encensoir à pédales
: les fumigateurs appointés sentent alors monter des catalogues
une odeur vireuse.
Et
la machine d'expectorer résolument.
expectoration
à jet continu
expectoration
incendiaire
ou falorique
expectoration
cendreuse
ou podzolique
expectoration
dite en poinçon
expectoration
vergetée
expectoration
verniculaire
expectoration
omnicolore
expectoration
livide
expectoration
à double
détente
expectoration
hétéromorphe
expectoration
graillonnée
expectoration
en grumeaux
expectoration
casus belli
expectoration
flic-flac
expectoration
glottale
expectoration
limoneuse
expectoration
en meringue
expectoration
en moyette
expectoration
pâteuse
Tant
qu'il y aura de la soupe il pleuvra des glaires.
Pour
finir revenons un instant sur l'encensoir à pédales, cet
engin logorrhéïque à petit et grand braquet.
Tremblée
de désirs, bien policée, bien gendarmée, bien engodichonnée,
la cervelle - gélatine en trompe-l'oeil - est sensible
à la propagande ; les cyclologopédistes l'alimentent en
croyances sur la plastique et l'esthétisme, aussi pour l'accoutrer
des dentelles chantournées de la morale ou autre farine politique.
La cervelle maintenue dans un état de confusion en vient à
prendre un pied-bot dans une pantoufle orthopédique pour une main
de fer dans un gant de velours et ainsi de suite.
Ainsi
la sagesse est plus que jamais un peigne pour les chauves et l'art, un
cure-pipe pour les sourds.
2002