Les Plaisirs Dada
par Georges Ribemont-Dessaignes
Dada
comme tout le monde a des plaisirs. Le principal plaisir de Dada est
de se voir chez les autres. Car Dada excite le rire, la curiosité,
ou la colère. Comme ce sont là trois choses très
sympathiques, Dada est très content.
Dada est d'autant
plus content qu'on rit de lui sans préparation. L'Art et les
Artistes étant des inventions très sérieuses surtout
lorsque cela ressort du Comique, on vient au Comique pour rire. Ici
rien de cela. Nous ne prenons rien au sérieux. On rit donc, mais
pour se moquer de nous. Dada est très content.
La curiosité
est éveillée aussi. Les hommes sérieux, qui au
fond savent comment on prépare les miracles dans le genre de
ceux du Père la Colique ou des larmes de la Vierge, se disent
qu'il serait plus amusant de s'amuser avec nous. Ils ne veulent pas
non plus faire crouler tout le Sacré Cur de l'Art. Les
voici qui se frottent à nous pour avoir notre recette. Dada n'a
pas de recette, mais il a toujours faim. Dada est très content.
Pour
la colère, cela est délicieux. C'est comme ça que
commencent les grandes amours. Le seul souci pour l'avenir serait d'être
trop aimé. Il est vrai que resterait la faculté de renverser
les rôles et à notre tour de rire, désirer, ou nous
mettre en colère. Mais en attendant quelle somme de profit !
La belle gueule de quelqu'un qui vomit les injures est grande ouverte,
et Dada sait très bien jouer au passe-boule. Dada est très
content.
Dada aime aussi
jeter des pierres dans l'eau, non pour voir ce qui va arriver mais pour
considérer stupidement les petites vagues. Les pêcheurs
à la ligne n'aiment pas Dada.
Dada aime sonner
aux portes, frotter les allumettes pour enflammer les cheveux et les
barbes. Il met de la moutarde dans les ciboires, de l'urine dans les
bénitiers, et de la margarine dans les tubes de couleur des peintres.
Il vous connaît
et connaît ceux qui vous mènent. Il vous aime, et ne les
aime pas. Avec vous on peut s'amuser. Vous aimez probablement vivre,
mais vous avez de mauvaises habitudes. Vous aimez trop ce qu'on vous
a appris à aimer. Les cimetières, la mélancolie,
le tragique amoureux, les gondoles vénitiennes. Vous hurlez à
la lune. Vous croyez à l'Art, et respectez les Artistes.
Il suffit de
démolir tous vos petits châteaux de cartes et vous restituer
votre entière liberté pour que vous soyez les amis de
Dada. Méfiez-vous de ceux qui vous mènent. Ils se servent
justement de votre amour inconsidéré du toc et du ténor
pour vous conduire par le bout du nez, pour leur plus grand bien.
Tenez vous donc
à vos chaînes de telle manière qu'on peut impunément
user de vous comme d'ours à montrer dans les foires ? Ils vous
flattent et vous appellent Ours sauvages, Ours des Carpathes. Ils parlent
de la liberté et des grandes montagnes. C'est
pour récolter les gros sous des bourgeois spectateurs. Pour une
vieille carotte et l'odeur du miel vous dansez. Si vous n'étiez
pas lâches et affaissés parce qu'on vous a trop fait considérer
les hauteurs et les abstractions inexistantes, et toutes les balivernes
montées en dogmes, vous vous dresseriez, et vous joueriez comme
nous au jeu de massacre. Mais vous avez peur de ne plus croire, et de
nager comme des bouchons à la surface d'une eau sale, avec le
seul souvenir de la limonade gazeuse. Vous ne savez pas qu'on peut n'être
attaché à rien et être joyeux.
Si le jour vient
où vous vous secouerez, Dada fera sonner ses mâchoires
en signe d'amitié. Mais si vous vous délivrez des punaises
pour garder des poux, Dada fera jouer son petit soufflet à insecticide.
Dada est très
content.