Manifeste selon Saint=Jean Clysopompe
par Georges Ribemont-Dessaignes
Enfin
qu'y a-t-il ? Il est impossible de mettre le nez dehors sans respirer
une pâte à crêpe qui se solidifie sur le visage et
vous étouffe. Ce sont des hommes ces êtres mous comme des
crabes au changement de peau ? Ou la nourriture apprêtée
pour le grand dragon qui somnole encore et déjà fait claquer
sa gueule à déglutition mécanique ? On ne peut plus
vivre, car ce n'est pas vivre ce seul accomplissement de besoins furtifs.
Où sont-ils les coeurs pleins de sang ? Ce ne sont plus que des
poires à injection, en caoutchouc.
Les charniers où
verdissait la chair humaine se sont libérés de leur pourriture,
ils n'y ont gagné qu'une couverture en merde de corbeau. C'est
là que les suaves en vêtement de plume sentimentale, et les
forts en graisse de général viennent rêver au temps
passé de la vigueur et des amours riches.
Finies les pâmoisons
alors qu'on avait la bouche pleine de mélodies ou le nez ivre de
philosophies gazeuses. Finies la fornication des regards et les messes
pour cervelles à vapeur.
Maintenant les mâles
contemplent d'un oeil morne leur virilité fleur de camomille, dont
les femelles ont fait jadis des lampions de 14 Juillet, rouler dégonflée
dans la crasse des éviers, et les femelles interrogeant leur miroir
s'étonnent de sentir perler quelque chose de chaud dans leur tête
froide, gommes des souvenirs mâles.
Votre mauvais regard
crie : Assassins ! Mais on n'est pas assassin parce qu'on fait
mourir de faim tout un peuple, vous le savez bien ; l'assassinat comporte
une action plus réelle, du moins à vos yeux. Il ne s'agit
pas de se livrer sur vous à la volupté de la destruction,
vous êtes trop nombreux ; et quelle fade odeur répandraient
pour des siècles tant de coeurs désaffectés de leur
office sacerdotal, et tant de ventres ballonnés semblables à
des outres d'huile !
Votre mal vient de
votre nourriture ; la preuve s'en verrait dans vos entrailles si d'un
coup de talon quelque curieux ouvrait la masse. Il s'y engluerait le pied
dans une matière blanchâtre, résidu de tous vos idéals,
vos beautés, vos extases abstraites, mal digérées
comme le lait d'une vache malade.
Il nous faut nous
débarasser de ce spectacle répugnant votre grâce,
votre suavité, votre intelligence. C'est cela qui épaissit
notre air, et colle sous nos souliers. Votre maladie, c'est un livre.
C'est le catalogue de la compréhension universelle.
Vous avez inventé
cette espèce de ménagerie d'animaux crevés auxquels
vous persistez à apporter chaque jour une nourriture stérilisée
et dont vous collectionnez les excréments. Morgue de vos mots.
La vieille peau tannée de vos mots, à demi-pelée,
dont les muscles et les os sont allés pourrir quelque part. Objet
de vos amours. Passion sodomiste de vieillard haletant.
Il n'y a plus qu'une
sonorité sans naissance et devenue pierre et fer de carton pour
la construction de vos cathédrales et de vos pissotières.
Allez-vous-en. Les mots vous sortent en tourbillonnant hors du nombril.
On dirait une troupe d'archanges à fesses blanches comme la chandelle.
C'est avec le nombril que vous parlez, les yeux tournés vers le
ciel. Hé bien maintenant il est défendu de parler, défendu
d'écrire. Il est défendu d'être intelligent. C'est
vrai que vous êtes idiots ; mais idiot et intelligent c'est la même
chose. Et lorsque vos mots, les affreux signes de votre intelligence,
seront morts, nous vous laisserons parler et chanter.
Mais j'ai peur qu'à
votre tour vous ne vous jetiez sur nous, avec des desseins meurtriers.