Manifeste à l'Huile
par Georges Ribemont-Dessaignes
La
Chimie est une science cloporte et s'avance avec la vitesse d'un myriapode.
Les artistes qui colonisent cette science comme les prêtres poètes
qui colonisent le hasard en ont tiré des résultats merveilleux.
C'est ainsi qu'on découvrit le rôle du fer, du calcium,
d'arsenic, du zinc dans l'organisme humain et leur nécessité.
Et l'on attend de découvrir la même nécessité
pour des corps nouveaux. Afin de faire durer le plaisir plus longtemps
on les exhume peu à peu avec de grands cris religieux. Mais il
est un corps auquel on ne pensait pas et qui prit le parti de s'isoler
lui-même des vieilles chaires fades et musiciennes : c'est DADA,
le dada qui spontanément au contact de l'air humide et sentimental
se transforme en acide dadaïque, et ne laisse après lui
qu'un petit résidu noir et une fumée bleuâtre.
DADA a toujours
existé, on le lui reproche assez. Mais qui le savait ? et qui
donc aujourd'hui le sait ? DADA est plus terrible que vous ne pensez.
Vous le posez sur l'eau, et il tourne en rond avec une flamme qui pétille.
Et vous commencez à rire en venant vers lui, vers ce joli jeu.
Vous, amis de DADA, vous êtes sans danger. Nous sommes notre propre
danger. C'est pourquoi dans les magazins de parfumerie ou de bijouterie
nous jetons des pierres et brisons les glaces qui renvoient notre image.
DADA n'est plus
un jeu. Il n'y a plus de jeu nulle part. Il n'y aura plus de jeu nulle
part, mais une terreur sans nom devant tout ce qui est pourri, devant
ce qui crânait encore et que DADA a détruit et détruira,
devant la couche de cendre où subsiste comme souvenir les dents
noircis qui ont chiqué les mots à sonnettes, les airs
clair de lune et les hosties lavabo. Il y a un moment du jeu où
l'on joue à ne pas jouer, et où cela finit mal. C'est
maintenant.
Il faut que
la rue pour vous soit triste en sortant. Et qu'il n'y ait plus de consolation
au fond de votre estomac.
DADA est un
cancer, et donne le cancer. Il détruit le fonctionnement des
spécialités et fait bourgeonner les cellules indifférantes
avec une effrayante rapidité. Il faut que vous ayez la connaissance
de votre mal. L'air que les vents allizés du printemps vous envoient
est dur et froid comme du fer. La société et ces charmes
sont morts. Et réfugiés dans votre lit vous savez que
vous avez un cancer du cur, un énorme cancer de votre coeur
devenu éponge jusqu'aux talons et qui presse sans le battre un
sang hideux et fétide comme le jus d'une mare à purin
où se vautre encore un cochon commercial.
Mais DADA connaît
la choréographie et la manière de s'en servir.
Pour s'amuser
il vous raccole. Et avant de faire avec vous le simulacre de l'amour,
il jette dans la poêle des tranches de cactus Et soudain jaillit
une efflorescence de serpent du Mexique et d'étranges gloxinias
en celluloïd que l'on vous sert frits. Et les larmes de la lune
tombent dans des cornets à piston qui vous préparent le
café. Et phonographe du Puytren attend votre petit cri de la
fin. Car il faudra bien que vous m'aimiez au travers du cancer de votre
cur, au travers du cancer que je vous aurai donné.
mars 1920