Préface par Tristan Tzara

Les myriapodes philosophiques ont cassé des jambes de bois ou de métal, et même des ailes, entre les stations Vérité-Réalité. Il y avait toujours quelque chose d'insaisissable : LA VIE.
Chercher de remplacer la vie par un plaisir privé : aventure parfois amusante. (Les aventures sans remords qui s'introduisent en art par ses moyens, pour le détruire lentement, réveillent la cendre dans le noyau, intérêts réciproques, insinuations et obstacles système mouvement DADA).
Mais donner à une blague la caractère d'éternité et lui préparer l'exclusivité de la faim, est ridicule, bonjour naïf d'onaniste, musique salutiste, prétention mélangée, succursale du bourgeois chatouille l'art.

L'anémie ne se propage pas sur le continent, mais tu connais la force, les microbes, les fleurs, l'alcool, le sang, les inventions, qui répandent leur pluie — sans but — ou se cassent écho au roc matinal et solide.

Je pense au même besoin d'imposer, — apprenez-moi le ton sérieux qui ne sonne faux! — et ce sont toujours les autres qui ont raison.

Le besoin de chercher des explications à ce qui n'a pas d'autre raison que d'être fait, simplement, sans discussions, avec le minimum de critère ou de critique, ressemble à la self-cleptomanie : changer à perpétuité de poches, à ses propres objets et dans son propre habit. On s'arrange d'habitude aussi une collection d'une spécialité morale quelconque, pour la commodité des jugements. Les hommes sont pauvres parce qu'ils se volent eux-mêmes. Ce n'est pas la difficulté de comprendre la vie moderne, qui en est cause, mais ils volent des éléments à leur propre personnalité.

PICABIA. La parole fertilise le métal : bolide ou roue urubu ouragan ourlé et ouvert — il laisse dormir ses sentiments dans un garage. Je place un hibou dans un hexagone — chante en hexamètres — use les angles — crie (à bas) et abuse. La géométrie est sèche, vieille. J'ai vu jaillir une ligne autrement. Une ligne jaillie tue les théories, et il n'y a d'autres besoins que l'aventure dans la vie des lignes. Œuvre personnelle celle qui fuit l'absolu. Et vit. S'évade. De la sève muette. Mécanisme de l'aorte fait plus de bruit que l'ascenseur, l'engrenage de ses roues est feu, réveil : typographie des premières sensations, trop simple pour être déchiffrée si vite par les capitaines de la science. Mon cher Picabia, « Vivre » sans prétention. Danser sur les dents de fer télégraphiquement. Ou se taire sur la ligne équinoxiale, pour savoir à chaque instant — perpetua mobilia — que c'est aujourd'hui.

« Charme » et « jolie » s'appliquent au clair de lune, aux sentiments, aux tableaux qui chantent et aux chansons qui voient, se collent aux traditions, s'infusent parmi les pompiers et parmi les peintres.

Les peintres cubistes et futuristes, qui devraient laisser vibrer leur joie de la libération d'un extérieur encombrant et futile de l'apparence, deviennent scientifiques et proposent l'académie. Propagation théorique de charognes, pompe pour sang. Il y a des paroles qui sont aussi des croix d'honneur. A la chasse des gros mots qui assurent le bonheur de l'humanité, du prestige prestidigitateurs de prédilections prodigieuses pour le plaisir de ceux qui payent. Chapitre respect de la soupe.

Les idées empoisonnent la peinture ; si le poison porte un nom sonore de gros ventre philologique, l'art devient contagion, et si l'on se réjouit de cette intestine musicalité, le mélange devient danger pour les hommes propres et sobres.

Il n'y a que l'action négative qui soit nécessaire. Picabia a réduit la peinture à une formation sans problèmes ; chacun y trouvera les lignes de sa vie
qui vont avec le temps en chemin de fer et par téléphone sans fil
s'il la regarde sans se demander pourquoi une tasse ressemble à un sentiment.

TRISTAN TZARA.