Barrière

« On m'a parlé d'un restaurant luxueux où les mets les plus divers sont apportés. Il y a des dessous de plats à musique, des carafes à deux becs, des verres à pied et une magnifique porte d'entrée.
— Les plus magnifiques portes sont celles derrière lesquelles on dit : « Ouvrez, au nom de la loi ».
— Je préfère à ces drames le vol silencieux des outardes et la tragédie familiale ; le fils part pour les colonies, la mère pleure et la petite sœur pense aux colliers que son frère lui rapportera. Et le père se réjouit intérieurement parce qu'il pense que son fils vient de trouver une situation.
— J'ai été recommandé dès mon jeune âge à un animal domestique et pourtant j'ai toujours préféré à la chaleur de sa langue sur ma joue une petite histoire des temps passés.
— Du bout des lèvres on peut boire cette liqueur verte, mais il est de meilleur ton de commander un tonique.
—Les forçats se donnent une peine immense pour garder leur sérieux. Ne leur parler pas de ces enlèvements surnaturels ; la jeune fille a encore les cheveux dans le dos.
— Il n'y a donc que ces voitures brunes pour favoriser les évasions. Tous les jours, à midi, quelqu'un se sauve.
— Qu'il prenne garde à ces échelles qu'on jette horizontalement sur les avenues et qui sont faites de tous les « Arêtez-là ».
— Il s'en moque. Regardez, voici un individu qui s'approche de nous en courant à toutes jambes. Pas un cri ne s'envolera de nos lèvres. Il va plus vite que les mots les plus brefs. Je sais que derrière nous on ne peut que pâlir de frayeur ».

par André Breton et Philippe Soupault